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Récolter la tempête

À Saint-Hyacinthe, dans les années 90, Samuel découvre dans la cabane au fond du bois les boites de souvenirs de son oncle communiste suicidé … et tabou familial s’il en est. Entre les vêtements démodés qu’il va porter sans honte, les vieux livres de philo qui inspirent sa vision de la vie, les préjugés de ses parents contre la lecture et l’élevage de cochons de son ami Marc, Sam découvre la vie, prétendant s’élever au-dessus de ce monde trop différent de lui…   

Cette nuit-là, c’était le début officiel de mon ensorcèlement. Une force en moi s’en trouvait libérée, une force qui me guiderait jusqu’au sommet de moi-même. J’avais toujours bien juste seize ans, mais j’avais l’impression d’avoir déjà perdu beaucoup trop de temps. Il m’apparaissait dans une douloureuse clarté que tous les êtres d’exception en avaient pas moins été eux aussi, a priori, captifs de la vie ordinaire. Ils étaient nés et avaient grandi dans des familles plus ou moins normales et, selon l’époque, avaient évolué dans des sociétés plus ou moins merdeuses, comme toujours et comme tout le monde. Mais justement : pas comme tout le monde, pas comme tous ces inconnus qui s’amassent en couches sédimentaires où s’impriment les quelques rares fossiles du génie – et je désespérais d’être confondu avec les autres milliards de quidams de mon temps, dans l’humus qu’écraserait la marche des géants. Non, pas moi! J’étais capable d’être quelque chose de grand, aussi, et les mots que j’écrivais étaient précisément les échasses par lesquelles je pourrais monter jusqu’à moi-même. – p. 204.  

Roman d’apprentissage, Récolter la tempête de Benoit Côté est un récit à la première personne, où le narrateur raconte ses péripéties d’enfance et ses découvertes d’adolescents. Sans fard ni pruderie, il y dévoile autant ses échecs amoureux que ses prétentions littéraires, le tout à travers un nombrilisme parfois hilarant. 

Dénonçant avec drôlerie les incohérences de son propre discours, il met en lumière le racisme ambiant de ses proches et leur peur bleue de la figure de l’intellectuel, celui qui ne fait visiblement rien d’autre que lire et rêvasser, sans salaire, ni plan de carrière… C’est d’ailleurs ce qui m’a séduit dans ce récit, la capacité de l’auteur à nous présenter un narrateur à la fois porteur de multiples travers hautains propres à son âge, et d’un regard doucement critique sur lui-même. Et également sa vision acerbe, tendre et franche de ses proches, sa compréhension tout à la fois affinée et bancale du monde qui l’entoure, propre, sans doute, à tous les adolescents qui se cherchent. 

Ma mère disait encore, à propos d’une première petite copine que j’ai ramenée à la maison et essayé d’embrasser maladroitement dans ma chambre, au point d’insister un peu trop et qu’on se ramasse elle et moi plantés dehors, en avant, sans rien à se dire, en attendant que son père vienne la chercher : « A’ me fait penser à ma mère, mais avant que j’la connaisse. – p. 11 

Tout comme Karine avant moi, j’ai dévoré Récolter la tempête. Je me suis prise d’affection pour ce petit bum parfois un peu niais, pour son désir si franc de se distinguer, sa vieillardise et son affection pour ses copains un peu débiles, toujours prêts à rigoler et rarement à parler de Nietzche. Sans spoiler la fin, je dois dire que j’ai particulièrement apprécié toute la dernière partie qui se déroule pendant la crise du verglas de 1998.  

En bref, je dirais que le ton de Récolter la tempête est sympathique (surtout les dialogues!), le rythme dynamique et l’ensemble une belle lecture, à la douce limite entre nostalgie et recul amusé sur une époque à laquelle on veut revenir, mais pas complètement.  

  • Titre : Récolter la tempête 
  • Auteur : Benoît Côté 
  • Nombre de pages : 335 pages 
  • Date de parution : 2018 
  • Édition : Triptyque  

Crédit photo : Annick Lavogiez 

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