J’ai été complètement soufflée par La marchande de sable de Katia Belkhodja. À un point tel que j’ai longtemps hésité à écrire un billet sur ce livre : je ne me sentais pas à la hauteur. La seule chose qui m’a finalement poussée à risquer de mettre des mots sur mon expérience est l’envie viscérale que le monde entier se confronte à ce roman, profond et magnifique.
Ce récit de début d’un monde, de la fin d’un autre présente la petite fille Schéhérazade. Elle parle arabe, alors que personne ne le comprend dans la tribu. Ce sera la perche qu’elle tendra pour se lier à son père. Mais comme une maladie, l’arabe se propage, divisant les gens, les menant peu à peu au bout de leur histoire, de l’Histoire. La marchande de sable est écrit comme un conte, une fable racontée oralement. L’émerveillement du début du livre fait rapidement place à la terreur de la seconde partie, sombre et brutale qui nous confronte au désenchantement et à la vengeance.
De la trempe de Wajdi Mouawad, on accueille ce récit comme un de ces textes qui parle à l’universel, rempli d’intelligence, d’amour et de violence dans une langue pourtant sobre, sans superlatifs. Katia Belkhodja économise les mots. Malgré cela ou à cause de cela, on reste estomaqué par l’intensité de la lecture. La puissance évocatrice de ce texte est telle qu’il porte, à mes yeux, un des écrits les plus poétiques de la littérature québécoise récente.
Dans la tribu, le facteur revenait parfois, bien avant Marylin, bien avant Sherry Shéhérazade. Il ne faut jamais revenir. Un jour, dans la tente du chef de la tribu, il l’avait compris. Il avait croisé le regard noir sous les tatouages de son front qui voulaient dire : fatalité. Après, il avait cessé de leur ramener des lettres de ceux qui étaient partis. Parce que les lettres disent : « Je t’oublie. » Je pense à t’oublier.
C’est si beau que j’ai retardé durant quelque temps la fin de ma lecture. Je ne voulais pas la finir. J’ai savouré durant des jours entiers les dernières pages, prenant mon temps, répétant chacune des phrases. Parce qu’après l’avoir refermé pour de bon, cette délectable expérience serait terminée. Jamais plus je ne pourrai lire La marchande de sable pour la première fois.
Finaliste pour le prix Arlette Cousture (2016), La marchande de sable est sans contredit, le meilleur livre (et de loin) que j’ai ouvert cette année. À lire, dans l’absolu.
- Autrice : Katia Belkhodja
- Nombre de pages : 80 pages
- Date de parution : 2015
- Éditeur : Les Éditions XYZ
- ISBN : 9782892618990
Crédit photo : Caroline Dawson