Littérature québécoise Quoi lire?

Troubler les eaux 

Frédérick Lavoie est un journaliste québécois indépendant et pigiste, entre autres, pour le Devoir et le Quotidien. Il est aussi écrivain, il a publié Allers simples : aventures journalistiques en Post-Soviétie (2012), Ukraine à Fragmentation (2015) et Avant l’après : voyage à Cuba avec Georges Orwell (2018). Il dit lui-même tenter de rapprocher le journalisme et la littérature et il le fait très bien. Cette année, il publie Troubler les eaux à La Peuplade. Le journaliste-écrivain réfléchit au rapport des Bangladhais.es avec l’eau, mais surtout notre propre rapport avec la façon d’exercer le journalisme.   

Frédérick Lavoie dénonce ou remet en question, la façon traditionnelle du journalisme dans des pays étrangers, c’est-à-dire de « débarquer » dans leurs vies sans trop se présenter, venir d’où on vient et à quoi servira les échanges pour aller directement au but avec les questions écrites d’avance qui ont un but, voire des réponses attendues précises. Il pose la question très importante, est-ce qu’on aurait la même éthique journalistique si ces gens étaient Occidentaux, pas seulement d’un point de vue culturel, mais aussi éthique et moral.   

Était-il possible de raconter la vie de gens qu’on savait avoir trop peu compris ? Était-il décent de se prêter à un tel exercice ?

– p. 47

Il sent souvent qu’il ne fait pas le bon reportage au bon moment, que les gens interrogés ont des choses à dire, mais puisque ce ne sont pas celles que le journaliste attend, il ne prend pas le temps vraiment de les écouter. Il faut dire que c’est aussi une question de budget, de temps et du travail de journaliste-pigiste, on est rémunéré pour un sujet bien précis dans un temps donné.  

Le point central de ce livre, en plus de nous renseigner sur plusieurs sujets dont l’enjeu de l’eau au Bangladesh, c’est aussi de nous remettre en question comme lecteurice : souhaitons-nous réellement de l’information la plus objective possible, est-ce que cette information est plus valable que si les biais du journaliste sont présents, mais connus ? Frédérick Lavoie pense que les journalistes ne devraient plus disparaître derrière l’article, mais plutôt être honnête et dire d’où il vient pour que les gens interrogés dans les articles, mais aussi les lecteurices puissent se faire une idée plus complète du décalage certain entre le ou la journaliste et l’article, les informations que celui ou celle-ci a amassées.   

“Dans les médias avec lesquels je collaborais, on avait toutefois généralement voulu que je les fasse disparaître pour donner l’impression que je parlais de nulle part. Puisque je ne parvenais pas encore à convaincre et à me convaincre de la pertinence de les exposer, j’acceptais jusque-là de me plier à ces exigences éditoriales motivées par la conception dominante de l’éthique journalistique. “P.284  

En effet, le ou la journaliste arrive toujours de quelque part, n’est-ce pas ? Tout le monde arrive de quelque part avec son lieu de naissance, sa culture, ses expériences, ses idées, ne serait-ce alors pas plus juste de les révéler ?   

J’ai beaucoup aimé ce livre qui se lit un peu comme un roman. Frédérick Lavoie soulève des questions extrêmement importantes et qui sont venues me toucher. Je pense que, de plus en plus, l’information objective l’est de moins en moins et qu’on doit, collectivement, se l’avouer. Ce livre-essai est un outil de réflexions important, Frédérick Lavoie est un journaliste rigoureux, peut-être le plus rigoureux puisqu’il se remet en question et nous permet, en tant que lecteurices, de réfléchir à l’information que nous souhaitons pour l’avenir et à la façon dont le journalisme devrait être fait aussi.  

Un mot pour dire que j’ai énormément apprécié l’écriture inclusive du journaliste et pour les celleux qui doutent encore, l’écriture inclusive n’alourdit en rien la lecture de ce livre touchant et troublant, mais surtout important. Merci Frédérick Lavoie !  

  • Auteur: Frédérick Lavoie 
  • Maison d’édition: La Peuplade 
  • Parution: 27 septembre 2023 
  • Nombre de pages: 360 

Crédit photo: Valérie Ouellet 

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