Cartographies 1 : Couronne Sud (La Mèche) est un recueil de cinq nouvelles qui réfléchissent, repensent et exposent un espace urbain souvent mal-aimé : la banlieue. À l’horizon de la rive sud, lointaine, omniprésente, mais personnage secondaire, s’élève Montréal. Les personnages gravitent, se cherchent, errent dans cet à-côté de la grande ville qui devient soudainement le cœur de la vie, le centre de l’urbanité.
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Dans Le dernier été Annie Dulong retrace avec force de justesse la fugue d’une adolescente révoltée, coincée entre des parents qui s’entredéchirent, au cœur de Sainte-Martine, une banlieue incarnant la transition pré-Montréal, lieu de tous les possibles et de la liberté.
Nous habitons dans la banlieue de la campagne. Un développement construit à l’entrée de Sainte-Martine. Derrière la maison, des champs frémissent. Parfois ils puent, au printemps, à l’automne, mais le plus souvent ils chantent au vent, leur vert doux pour le regard. Au loin, on aperçoit la ville.
(Annie Dulong, Le dernier été, p. 22.)
Dans le deuxième récit, Harry Connaught, Eric Godin explore la forêt de Godmanchester avec un personnage qui vole régulièrement les vêtements de ses voisins, disposés sur des cordes à linge. Entrecoupée de visuels (acryliques et encres sur papier), cette nouvelle est sans doute la plus mystérieuse et la plus sombre, mettant en scène la banlieue de manière obscure et lointaine.
Harry doit avoir volé suffisamment de vêtements pour s’habiller jusqu’à la fin de ses jours. Mais on le voit toujours vêtu de la même manière. Certaines personnes se disent que ce n’est qu’une petite manie de fou sans malice tandis que d’autres en ont ras-le-bol.
(Éric Godin, Harry Connaught, p.52.)
Auprès des moufettes est quant à lui « un récit doux-amer qui donne mal au ventre et envie d’aimer (Pierre-Luc Landry, « Pour faire jaillir un monde / Introduction », p.16) ». Écrite par Nicholas Dawson, cette histoire met en scène un étudiant de cégep amoureux, confus, vagabondant au cœur de Brossard dans un dédale de rues sans nom en pensant à son amoureux, un jeune homme dont on ne sait rien que la couleur des yeux et quelques goûts musicaux.
Je fais le plein de silence
j’essaie d’écouter le vent
dans les arbres, les moufettes,
le sifflement éternel des pylônes :
le silence de Brossard.
(Nicholas Dawson, Auprès des moufettes, p.87.)
Dans Patrick Corneau, Trois traques de Guillaume Bourque, deux amis d’enfance se retrouvent et partagent avec violence et franchise leurs histoires de femmes, de prison, de vie. Dans un langage cru et familier, leurs récits se croisent et se côtoient sans se lier, laissant un étrange sentiment de distance au lecteur.
Dans Cendré, Mathieu Leroux explore McMasterville et ses bâtiments abandonnés à travers un personnage qui se cherche dans un flou reflété admirablement dans la présentation du texte, alliant coupures de phrases, visuels, dessins, interruptions.
Ce n’est pas arrivé d’un coup. Même si ici, maintenant, c’est l’impression que me laisse le paysage dévasté. Je n’ai pas franchi de ligne qui séparerait le beau des débris. Il n’y a pas eu de « tout est paisible et vert » « tout est démoli et décoloré ». Les ruines et les dépotoirs se sont multipliés autour des centres principaux au rythme où les déserteurs ont fui.
(Mathieu Leroux, « Cendré », p. 145.)
Mon coup de cœur parmi toutes ces nouvelles ? Sans hésiter, Auprès des moufettes qui offre un portrait si délicat et si juste à la fois de l’adolescence, du quotidien ennuyeux, mais nécessaire, de l’amour maladroit et de cette banlieue qui prend vie comme un personnage à part entière.
Novembre, c’est déprimant, tout le monde dit ça. Tout le monde dit que c’est sombre, qu’on s’enferme, que le froid nous fait regarder le monde à travers des fenêtres embuées, mouillées par la pluie. Le monde, en novembre, on le regarde à travers nos larmes. C’est ce qu’on dit, tout le monde dit ça.
Le monde, c’est Brossard à l’horizon que je vois à travers la fenêtre de la 45.
(Nicholas Dawson, Auprès des moufettes, p. 75 )
- Titre : Cartographies 1 : Couronne Sud (collectif)
- Auteurs : Annie Dulong, Eric Godin, Nicholas Dawson, Guillaume Bourque, Mathieu Leroux.
- Nombre de pages : 192
- Date de parution : 2016
- Éditeur : La Mèche
- Provenance du livre : Cadeau d’une amie
Crédit photo : Annick Lavogiez