Dora Bruder est l’histoire de la recherche d’une jeune fille juive portée disparue en plein milieu de la Deuxième Guerre mondiale, alors que Paris est sous le joug de la terreur nazi. Aux indices révélés au fur et à mesure par Patrick Modiano, se juxtaposent des images de la jeunesse de l’auteur et de sa relation avec son père, lui-même Juif. De nombreux détails (les rues, les noms, les faits plus ou moins anodins mais bel et bien historiques) qui sont liés à Dora et à sa famille, composent la topographie du drame d’une parmi les millions de victimes des camps de concentration.
Longtemps j’ai hésité avant d’écrire sur ce livre marquant de Modiano. Un peu parce que je ne suis personne face à ce géant de la littérature française (Prix Nobel 2014). Un peu parce que ce n’est pas un livre qu’on arrive à aimer, mais plutôt qu’on n’arrive pas à oublier. Le bouleversement dans lequel il laisse le lecteur ressemble à celui du témoin involontaire d’une tragédie. Nous sommes pris en otage.
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C’est un livre aussi difficile à lire qu’à décrire, malgré sa brièveté. Disons que Dora Bruder n’est pas un roman. Ce n’est pas non plus un récit autobiographique, ni une enquête policière. Et pourtant c’est un peu tout ça ensemble.
Si on devait le comparer à un autre genre artistique, il s’approcherait du documentaire en noir et blanc. Si c’était un homme, il serait probablement aliéné par son intelligence et par sa capacité à pénétrer dans les recoins de la vérité en quelques battements de cils.
Il est comme ces vins trop sophistiqués qui peuvent déplaire à la première gorgée; qu’on tourne dans la bouche dans l’espoir d’en apprécier les nuances, d’en comprendre la profondeur; mais qui décloisonnent leur univers gustatif seulement quand le verre est vide et ne reste que la mémoire d’un goût qui ne cesse d’évoluer en nous.
Ces listes dont il nous gonfle le cerveau ne sont que du bruit – le son de la paperasse empilée par les bureaucrates de la guerre, des tonnes et des tonnes d’archives de noms, prénoms, dates de naissance, sexe, adresses, liens de parenté, race. À la lecture de ces catalogues, rapportés de façon pédante, presque maniaque, accompagné de l’ennui se dessine de plus en plus l’écrasant sentiment que les listes sont nécessaires à la description de faits qui échappent à toute description, foncièrement inintelligibles de par leur horreur. Elles représentent une prise sur une époque qui est à ce jour encore insaisissable, et ce sont des serrures où l’oeil peut apercevoir une représentation partielle de ce que c’était.
L’obsession de l’auteur envers Dora Bruder, cette jeune fille qu’il ne connaissait pas, parait presque une tentative de rendre honneur à la mémoire d’une victime innocente qui n’aurait autrement laissé aucune trace de sa courte existence. Sauver sa mémoire en essayant de retracer ses pas, l’histoire de ses parents et ses derniers jours avant de disparaitre à Auschwitz, ressemble à une tentative désespérée de sauver tous les martyrs des camps, inconnus à jamais.
- Auteur: Patrick Modiano
- Nombre de pages: 145 pages
- Maison d’édition: Gallimard, Collection Folio
- ISBN : 9782070408481
Crédit photo : Dora bruder