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Déterrer les os

Déterrer les os

J’ai eu besoin de laisser filer un peu de temps entre la fin de ma lecture et l’écriture de cette critique; question de prendre un peu de recul et de digérer (sans mauvais jeu de mots) ce que je venais de lire. Dire que Déterrer les os de Fanie Demeule est un récit coup de poing serait un peu cliché, mais tellement représentatif de mon état d’esprit lorsque j’ai refermé le livre.

Nous sommes ici devant une autofiction déconcertante; un récit écrit au je, choix narratif qui resserre la proximité avec le lecteur. Une toute petite centaine de pages qui se dévore d’une traite. Une plongée au coeur de l’anorexie, dans le ventre et les tripes de l’auteure, littéralement. Et on ne peut en sortir indemne.

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On peut concevoir assez facilement que la personne anorexique entretient une relation malsaine avec la nourriture et une image déformée de son corps. Cependant, ce qui est plus difficile à saisir et qui est rendu avec grande justesse dans cette histoire, c’est comment la maladie s’immisce, gruge et empoisonne tranquillement et sournoisement tous les recoins de la vie de cette jeune femme: ses relations amoureuses, amicales et familiales, ses études, ses loisirs, etc. Au final, c’est son goût de vivre qui vacille et son sentiment même d’appartenir au monde des vivants. Du confort de mon fauteuil, j’ai eu l’impression d’assister, impuissante, à une opération d’autodestruction parfaitement orchestrée, mais dont le chef d’orchestre finit par perdre le contrôle.

Par moments, j’ai eu envie de la secouer, cette fille. De la secouer de toutes mes forces pour la sortir de son marasme, de sa torpeur, de son bain brûlant qu’elle prend à 3h du matin, car elle grelotte sans cesse. Je lui aurais crié qu’elle n’avait aucune, mais aucune raison de saboter sa vie de la sorte, qu’elle avait une famille qui l’aimait, des amis qui se souciaient d’elle et qui voulaient son bien. Puis, je me suis dit que c’est sans doute ce que ses proches avaient fait, sans que cela n’y change quoi que ce soit, bien sûr. Au mieux, elle n’entendait même pas. Au pire, cela l’encourageait dans son repli sur soi, convaincue que personne ne la comprenait. À ce moment, la maladie lui ronge tellement le cerveau que plus rien dans son mode de pensée n’est rationnel. « Je m’abîme, et c’est l’extase ». Cette petite phrase contient tout le paradoxe de l’anorexie. La satisfaction ressentie par la narratrice alors qu’elle se voit disparaitre n’a d’égal que le mensonge dans lequel elle s’enlise. Elle passe maître dans l’art du camouflage, usant d’une créativité étonnante pour laisser croire qu’elle mange normalement. Plus elle sombre, plus elle prend conscience que tout cela n’est qu’un leurre qui la mène tout droit vers la mort.

En 2016, Fanie Demeule est apparue sur la liste des jeunes auteurs à surveiller de Marie-Louise Arseneault (Plus on est de fous plus on lit, ICI Radio-Canada Première). Ce n’est pas surprenant et c’est tout à fait mérité. Son écriture est d’un réalisme saisissant tout en étant teintée de poésie. Je surveillerai avidement les prochaines publications de cette auteure de grand talent.

Auteure : Fanie Demeule

Éditeur : Hamac (Septentrion)

Date de parution : 29 août 2016

Nombre de pages : 118 pages

ISBN : 9782894488713

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  • Karine Villeneuve
    22 avril 2017 à 2:44 pm

    Une critique tout en finesse qui sait capter la beauté contenue dans le récit et aussi l’attention du lecteur. Bravo!

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