Il y a des dimanches matins moins désagréables que d’autres ; on est le 5 mai et le soleil est sorti de son hibernation. C’est le printemps et en plus d’être foncièrement rafraichissant, il est définitivement littéraire.
Il est 10h30, je me dirige vers la Maison des écrivains, face au carré St-Louis. Dans le cadre du festival Metropolis bleu, une table ronde s’y tient sous le titre « Entre immersion et distance : comment raconter un monde ? » avec les très talentueux Meryem Alaoui, Olivier Sylvestre, Deni Ellis Béchard et Sophie Divry. Les deux premier.e.s viennent de publier leur premier roman ; les seconds sont des chevronné.e.s. Ils ont tous récemment publié leur dernier ouvrage ; La vérité sort de la bouche du cheval pour Meryem Alaoui, Noms fictifs pour Olivier Sylvestre, Blanc pour Deni Ellis Béchard et Trois fois la fin du monde pour Sophie Divry. Ensemble, ils ont discuté de leur écriture, de leurs repères. De leur manière de percevoir le monde qui les entoure, de le comprendre, de se l’approprier. Tout en lui rendant sa justesse, sa vitalité, sa complexité.
Pour Sophie Divry, la littérature est une manière d’harmoniser le monde, à travers un objet d’art. Elle écrit pour assimiler les informations dans un monde, une époque, où elles pullulent. Pour les toucher, les trier. Les comprendre. Entre elle et ses personnages, subsiste une forme de glace pare-balles où il est possible de voir, de capter le réel, tout en gardant une distance. Une glace perméable, mais tangible. Olivier Sylvestre acquiesce, d’autant plus que, pour lui, la glace était bien réelle lorsqu’il travaillait, pendant plusieurs années, en tant qu’intervenant avec des personnes toxicomanes. Une glace qu’il était possible de franchir après une première rencontre. Bien qu’inspiré de son vécu, de ses rencontres et de ses années d’intervenant, « Noms fictifs » n’est toutefois pas un travail journalistique, ni académique ; c’est un acte d’empathie selon lui, accusé par son propre point de vue.
Le dernier livre de Deni Ellis Béchard, quant à lui, compose avec les enjeux de race, d’inégalités, de relations de pouvoir et de privilèges. Comme toujours, il aborde, par un style littéraire et à travers la fiction, des enjeux sociaux criants et essentiels. Il aborde « l’ignorance de l’Occident » articulé par un « sentiment de connaissance totale ». Il déconstruit cette idée, maintes fois véhiculée, du « bon Blanc » et du « mauvais Blanc ». Et finalement, Meryem Alaoui a parlé de son processus d’écriture qui met en scène des travailleuses du sexe à Casablanca. Et je l’avoue, je me suis rendue à la Maison des écrivains en ce dimanche matin principalement pour elle. Parce que j’ai adoré « La vérité sort de la bouche du cheval » (voir ma chronique ici), parce que j’avais envie de comprendre son processus et ses inspirations, parce que j’avais envie de l’entendre parler de littérature et du Maroc. Du scandale de Much loved, de la pertinence (nécessité ?) d’aborder des enjeux sociaux tabous et sensibles et de parler du médium qu’est la littérature. Parce que j’avais envie de comprendre son immersion et son positionnement dans ce monde qu’elle décrit. Parce que j’avais envie de lui dire que j’ai adoré son roman et que j’ai hâte de la suivre.
Il y a des dimanches matins moins désagréables que d’autres ; ce matin, j’ai eu la chance de rencontrer une autrice que j’admire et de me plonger, encore et encore, dans des univers romanesques qui font de la littérature, ma passion.
Merci printemps ! Tu repars pas, hein ?
- Alaoui, Meryem (2018). La vérité sort de la bouche du cheval, Paris : Éditions Gallimard.
- Divry, Sophie (2018). Trois fois la fin du monde, Montricher : Éditions Noir sur Blanc.
- Ellis Béchard, Deni (2019). Blanc, Québec : Éditions Alto.
- Sylvestre, Olivier (2017). Noms fictifs, Québec : Septentrion.
Crédit photo : Mylène de Repentigny-Corbeil