Peut-être, dit Alba, pourrions-nous sortir de cette scène de crime en la faisant nôtre.
p. 214
Dans la montagne, près d’un lac, le village de Strega semble sans histoire. Un téléphérique s’élève dans les hauteurs, vers l’Hôtel Olympic. Il emmène neuf jeunes femmes, envoyées par leurs familles pour devenir des maitresses de maison adéquates. Car à l’Hôtel Olympic, on apprend la cuisine, le ménage, les tâches du quotidien… et l’abnégation.
Lentement, les jours défilent. Aucun client ne met le pied à l’hôtel, et pourtant les draps sont changés, les aliments cuisinés, la poussière ramassée. Chaque jour se ressemble, et les nouvelles employées tentent de s’habituer à la lenteur, à l’absence, à l’inconnu. Entre cigarettes et liqueurs, elles vivent une jeunesse étrange, teintée de fantasmes et d’inquiétudes.
Un jour, l’une d’elle disparait. Et toutes savent qu’elle a été assassinée, qu’elle ne reviendra plus. Soupçons, enquête, certitudes et rituels envahissent le silence de Strega.
Je savais que la vie d’une femme pouvait se transformer à tout moment en une scène de crime.
– p. 9
Sensuel, mystérieux, lent et mystique, Strega est le premier roman de Johanne Lykke Holm (traduit par Catherine Renaud) publié aux éditions La Peuplade. Unique et envoûtant, il se dévore doucement, et se réfléchit longtemps. Le style onirique et délicat permet de se plonger complètement dans l’ennui des personnages et leurs tiraillements entre désir de violence, fantasme d’absence et peurs réalistes. On se perd dans des scènes dont on ne sait plus ce qui est vrai, ce qui est rêvé, ce qui est anticipé. Sans aucune lourdeur se dégage des pages une réflexion sur la peur, le danger, l’imagination fertile en matière de violence, le désir de vengeance à l’idée même d’un crime.
On pourrait avoir envie de dire : Nous préférons devenir des martyres ensemble plutôt que de vivre une seconde de plus dans ce système. On ne le fait pas. On patiente. On attend son meurtrier, on le voit partout. On se représente la nuit où cela doit arriver. On sait tout de cette nuit. On en connaît les répliques. On sait comment il suit quelqu’un, hypnotise quelqu’un, parle avec quelqu’un avec la voix de quelqu’un d’autre. Ce peut être une voix de fille, une voix de garçon, celle d’une nonne. On connaît la méthode qu’il utilise pour attirer quelqu’un hors d’un groupe. On baisse les yeux, on découvre des traces de pas dans la neige. On voit qu’elles mènent à la maison, sans retour.
– p. 184
Au-delà de la beauté du style de Strega, ce que j’ai aimé, c’est comment cette lecture résonne avec d’autres textes que j’ai lus ces dernières années qui explorent l’imaginaire féminin et les fantasmes liés à la violence, l’omniprésence de la peur dans la vie des femmes et les vengeances fantasmées qui en résultent, la sororité discrète et un puissant désir de magie… comme si toutes ces thématiques avaient pris vie dans le passage étrange du village de Strega.
Strega est donc un roman à ajouter à votre liste pour cet automne!
- Autrice : Johanne Lykke Holm
- Traduction : Catherine Renaud
- Maison d’édition : La peuplade
- Date de parution : septembre 2022
- Nombre de pages : 248
Crédit photo : Annick Lavogiez