Si on me déménageait, il faudrait écrire FRAGILE sur ma boîte.
– p. 35
Dans le froid de l’aréna qu’elle gère depuis quelques temps avec sa mère, entre les pratiques de patin et le passage de la Zamboni de Mme Elizabeth, la narratrice observe le monde en attendant. Que le deuil se fasse, que le vide se remplisse, que la vie (re)fasse sens. Elle regarde, questionne, compare, dévie de la solitude à son aréna, dans les souvenirs d’un père parfois manquant, mais omniprésent, de projets rêvés ou ratés et d’un amoureux disparu.
Je regarde mon verre que j’ai fini trop vite. Je me sens comme lui. Je sais qu’ils se sentent comme ça, les verres. J’ai de la compassion pour eux, je devrais partir un groupe de soutien pour les verres vides. Les verres qui ont froid par l’intérieur, qui ont le ventre vide. Je plonge le nez dedans, je cherche quelque chose d’invisible.
– p. 35
Au-delà de la thématique du récit, c’est le style de Frédérique Marseille qui m’a touché : le rythme de ses phrases, l’attention au détail, les observations si fines et touchantes de ce qu’il se passe dans la tête de quelqu’un qui souffre, qui se questionne, qui cherche à comprendre des choses que personne ne comprend, qui s’attarde à l’inconnu et espère. J’aurais corné le roman à de nombreuses pages pour répéter les phrases, pour m’en imprégner encore et encore.
Je fais des siestes qui ne fonctionnent pas. Je voudrais faire rembourser mes siestes, je voudrais commander de l’énergie sur internet et la recevoir en deux jours ouvrables. Le monde est trop grand pour seulement huit heures de sommeil par nuit, ça prend des journées de convalescence pour shimmer le trop-plein. Je ne fais rien de la journée. Je texte mes employés pour m’excuser de mon absence. J’écoute les camions de gravelle qui passent sur la rue, j’attends la prochaine heure de manger, j’attends que le monde finisse de sortir de moi, j’attends d’avoir des nouvelles de l’état de ma chienne, j’attends une minute max pour la sauce à vol-au-vent. Quand elle passe, la trop grande vie, je ne peux rien faire. Je suis un ground, j’empêche la planète Terre de faire sauter ses breakers en la laissant couler par mes yeux. Je me recouche.
– p. 105
Dans Sauf quand je suis un aréna se dessine, page après page, le portrait d’une femme sensible, mais détruite, qui recolle doucement les morceaux de sa vie. Frédérique Marseille réussit avec brio à nous toucher et nous faire sourire, à nous donner envie de prendre le temps de vivre les émotions et le vide, comme l’héroïne le fait.
Un livre qui résonne, à découvrir au plus vite.
- Autrice : Frédérique Marseille
- Maison d’édition : Les éditions de Ta Mère
- Date de parution : septembre 2022
- Nombre de pages : 176
Crédit photo : Annick Lavogiez