En janvier dernier, Mémoire d’encrier a réédité dans la collection Legba en format poche, deux récits importants qui doivent se lire lentement, qui posent des questions fondamentales, qui soulèvent des enjeux contemporains essentiels pour tous: Mère à mère de Sindiwe Magona et Les racistes n’ont jamais vu la mer des éditeurices et auteurices Rodney Saint-Éloi et Yara El-Ghadban.
Mère à mère
Ce récit débute avec un fait vécu. En 1993, vers la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, une jeune étudiante blanche est assassinée par un groupe d’étudiants noirs dans les townships. La mère de l’assassin prend alors la plume pour écrire à la mère de la victime. Elle lui raconte la violence, les racines de la violence sans banaliser ce que son enfant, son fils a fait. La narratrice remonte le fil de son histoire, de l’histoire du racisme vécue en Afrique du Sud, de l’apartheid, du déplacement de la population noire dans des townships bondés laissés sans services.
Ce livre témoigne des violences vécues par les noirs sud-africains pendant toute la vie de la mère et du fils assassin, il va bien au-delà du fait divers.
Mère à mère bouleverse, frappe les esprits, remet en question, apporte des réflexions et reste longtemps, très longtemps avec le lecteurice. Ce n’est pas une lecture facile, mais c’est une lecture essentielle pour qui souhaite un peu mieux comprendre la condition noire en Afrique du Sud. Il y a aussi clairement l’idée que la violence ne nait pas seule, que c’est un ensemble de facteurs qui mène à celle-ci. Avec son livre, Sindiwe Magona tente un début de réponse aux multiples raisons qui ont mené à ce meurtre d’une victime blanche.
Pour les gens comme votre fille, faire le bien dans ce monde est une compulsion féroce, dévorante, qui les consume. Je me demande si cela ne rétrécit pas comme des œillères leur champ de perception. […]
La voie que mon fils a empruntée a été longue et difficile. Maintenant, votre fille a payé pour les péchés des pères et des mères qui n’ont pas fait leur part et n’ont pas vu que mon fils avait une vie qui valait la peine d’être vécue.
- Autrice: Sindiwe Magona
- Traductrice: Sarah Davies Cordova
- Parution: 24 janvier 2024
- Nombre de pages: 343
Les racistes n’ont jamais vu la mer
Je n’avais pas eu la chance de lire l’excellent essai, échange entre Rodney Saint-Éloi et Yara El-Ghadban lorsque le récit épistolaire est sorti en octobre 2021, quelle merveilleuse découverte, en format poche, cette fois-ci.
Deux grands humains décident d’échanger sur le racisme, la première fois qu’ielles l’ont vécu comme protagoniste ou d’autres occasions où ielles en ont été témoins, cela mène à un échange grandiose où chacun tente de comprendre, d’exposer ses perceptions, ses expériences sans jamais tenter d’éteindre l’autre.
J’ai lu Les racistes n’ont jamais vu la mer comme on lit un roman, mais en tentant de prendre mon temps tout de même afin que ce dialogue dure plus longtemps. La grande lumière, l’espoir, l’ouverture qui émanent de ce récit fait un bien immense. Je voudrais que tout le monde le lise, s’en accapare un bout parce que nous avons tous, à mon avis, besoin de ce livre. Merci Rodney Saint-Éloi et Yara El-Ghadban, j’ai découvert deux personnes extraordinaires, j’avais souvent l’impression d’être à votre table et ce que j’aimerais vous entendre sur tant de sujets encore et encore.
Les racistes n’ont jamais vu la mer, ni le fond, ni l’horizon.
Nous sommes ensemble face à la mer.
Regardons la mer, sans lui imposer une identité, sans la sanctifier, sans la condamner.
Soyons le dialogue des rêveurs comme l’exige le poème.
Soyons ensemble et disons-nous pourquoi pas?
Il reste tant de mers à traverser.
Ceci n’est pas la fin. Ceci est un début.
Je cherche des compagnons de route.
- Auteurices: Rodney Saint-Éloi et Yara El-Ghadban
- Parution: 29 janvier 2024 (4 octobre 2021 pour l’original)
- Nombre de pages: 424
Crédit photo: Valérie Ouellet