Après l’action elles sont euphoriques, euphoriques d’avoir été jusqu’au bout du plan, heureuses de n’avoir pas fait ce qu’on leur a appris, baisser la tête et se recoudre entre elles. Personne n’apprend aux filles le bonheur de la revanche, la joie des représailles bien faites, personne ne leur dit que rendre les coups peut faire fourmiller le coeur, qu’on ne tend pas l’autre joue aux violeurs, que le pardon n’a rien à voir avec la guérison. On leur apprend à prendre soin d’elles et des autres, à se réparer entre elles, à « vivre avec », elles paient leur psychothérapie pendant que l’autre continue sa vie sans accroc, sans choc, toujours plus puissant. On leur raconte que les hommes peuvent les venger à leur place, si elles ont de la valeur, qu’il faut qu’elles s’en remettent aux autorités, à leur mari, à leur père, à leur meilleur ami, qu’elles déposent le poids de la violence chez un autre masculin pour que jamais elles ne puissent en être complices. Mais ce soir, elles refusent de s’éteindre, elles refusent d’être éteintes, de leur céder la lumière.
– p. 101
Un groupe d’amies décide de faire payer les hommes qui les ont violées. À coups de peinture et de vitres brisées, elles veulent instiller la peur au creux de ceux qui les ont abusées sans y penser à deux fois. Entre amies, elles se retrouvent, se soutiennent, alors que chacune s’émiettent dans ses douleurs. Et c’est au coeur du groupe qu’elles vont renaître, non pas oublier, mais bien reprendre une autre vie, plus fortes, ensemble.
C’est ça, l’histoire du livre Les orageuses. Des femmes abimées, maganées, violentées, violées. Des femmes qui ont peur, qui tremblent, qui s’invisibilisent. Et qui, un jour s’unissent pour se réparer. Se venger? Peut-être. Ou rendre justice, réparer, renaître, manifester leur rage et leurs douleurs, terroriser les coupables. Parce que même si la justice ne fait rien, ces hommes devraient quand même être imputables. Parce que les femmes aussi, devraient avoir le droit à la violence.
Je crois que c’est ça mon problème, commence Lucie, j’ai l’impression de ne pas avoir d’issue de sortie, je bosse et quand je rentre chez moi, c’est la même chose, les gens s’effondrent, c’est un glissement de terrain perpétuel tu vois, un genre de domino de la déprime, ça vient de partout, et moi je ne sais pas quoi faire ni quoi dire, et j’aimerais bien Mia, je t’assure que j’aimerais bien sauver tout le monde, j’aimerais les porter sur mes épaules hors de l’eau, j’aimerais être celle qui change leur vie, tu vois mon altruisme c’est un peu de l’égoïsme, je m’y plonge tête baissée et je me noie, putain je me noie là, y a de l’eau partout et j’ai l’impression de plus savoir nager. Et j’y passer tellement de temps Mia, je te jure, tellement de temps. Tellement de temps perdu, de temps que les mecs utilisent à vivre, à s’élever socialement, à créer, pendant que nous, on se ramasse parmi, on tente d’endiguer l’hémorragie avec un salaire de 1000 balles par mois. ‘oi je passe ce temps à être calme, à sourire, à contenir, putain qu’est-ce que je contiens, je garde à l’intérieur, je veux pas faire de vagues, il paraît qu’en plus les mecs ont peur des filles qui parlent trop fort, et moi je veux pas en plus être seule tu vois, mais j’ai l’impression d’être trop abîmée, trop foutue, je les intéresse plus et je me déteste de vouloir encore les intéresser.
– p. 82
Les orageuses est un chef d’oeuvre, un roman à dévorer d’une traite. c’est une écriture fracassante, intelligente, solide. On se laisse porter par la force de ces femmes qui se réparent quand tout est fait pour qu’elles restent brisées. Un roman incroyable sur la sororité, la réparation, la violence des uns et des autres, un système brisé que, peut-être, seule la solidarité peut renverser.
À lire de toute urgence, et à partager partout.
- Autrice : Marcia Burnier
- Éditions : Éditions Cambourakis
- Parution : 2021
Crédit photo : Annick Lavogiez