J’avais un peu oublié Maryse Condé. Cette auteure antillaise m’est revenue en mémoire lorsqu’on lui a attribué le Nobel alternatif de la littérature en 2018. J’ai donc renoué avec elle en plongeant dans son plus récent titre : Le fabuleux et triste destin d’Ivan et d’Ivana. Ce livre traite de façon singulière de radicalisation. Puis je me suis glissée dans la Traversée de la Mangrove, un classique qui m’a séduite par son rythme et son oralité. C’est toutefois du roman Les derniers rois mages, paru en 1992, que j’ai choisi de vous entretenir parce que ce livre aborde les thèmes de prédilection de l’écrivaine, soit l’exil, la quête d’identité, la famille, la discrimination raciale et l’amour. Voici donc la trame de cette histoire.
Né dans un modeste village de Guadeloupe, Spéro grandit auprès d’une mère distante et d’un père indolent qui prétend être le descendant d’un roi africain. Cette filiation royale, Spéro n’y croit qu’à moitié jusqu’au jour où un professeur vient l’attester. Dès lors débute une quête identitaire qui le mènera dans les bras d’une belle Américaine en mal de notoriété. Des noces s’ensuivent, et Spéro quitte son île pour la Caroline du Sud.
Mais l’environnement guindé dans lequel évolue sa femme ne lui convient guère. Aussi Spéro se retire-t-il de plus en plus du cercle de sa bien-aimée, préférant les bras de femmes moins exigeantes. Mais où tout cela le mènera-t-il?
Voici les premières lignes du roman de Condé, lesquelles laissent entrevoir tout le talent de l’auteure.
Les crabes sortirent de tous les trous du sable gris volcanique, tapissé de feuilles mortes, et se groupèrent en colonnes serrées. Cognant l’une contre l’autre leurs coquilles violacées, levant en l’air leurs mordants grands ouverts pareils comme des tenailles à clous, marchant déhanchés et crochus, ils atteignirent le corps de Spéro. Sans ralentir, ils remontèrent le long de ses cuisses, mais firent l’entour du morne massif de son sexe avant d’emmêler leurs pattes dans les poils de son pubis et de grimper en quatrième vitesse la calebasse de son ventre. Sous leurs griffes, le sang gouttait rouge. Comme ils atteignirent sa gorge, Spéro se réveilla dans le jour déjà clair. Depuis deux ans, il faisait le même rêve, trois et quatre fois par semaine. Il ne savait pas ce qui le provoquait. Quelle peine cachée au fond de son cœur. Il ouvrit les yeux sur le portrait de son arrière-grand-père qu’il avait peint lui-même à 14 ans à partir de la photographie qui depuis trois générations s’étalait sur la cloison de la salle à manger de la maison familiale. (p. 1)
- Auteure : Maryse Condé
- Éditions Mercure de France
- Nombre de pages : 304
Crédit photo : Vicki Milot