« Je navigue quotidiennement sur une rivière de cadavres de plusieurs kilomètres, alimentée des cancers, infarctus, embolies pulmonaires et accidents vasculaires cérébraux dont le diagnostic et l’annonce me reviennent, de par ce serment porté à Hippocrate. »
Le poids de nos traces est une bande dessinée touchante et très intime, écrite par Julien Poitras, doyen de la Faculté de médecine de l’Université Laval, médecin aux urgences de l’Hôtel-Dieu de Lévis, artiste, éditeur, graphiste et correcteur pour Moelle Graphik. Poitras y décline en deux parties son rapport au monde de la santé et à la mort. Dans la première partie, qui relate sa jeunesse à Baie-Sainte-Catherine dans les années 1960, il explore son rapport à la bande dessinée et son intérêt pour les sciences et les chauves-souris. Le regard de l’enfant sur un monde d’adulte combine habilement préoccupations enfantines et observations sur les incohérences des grands. La découverte d’un cadavre de chauve-souris et du monde de putréfaction qui s’en suit, marque l’enfant à jamais. Dans la deuxième partie, qui se déroule cinquante trois ans plus tard, on retrouve Julien Poitras aux urgences. Médecin, il voit défiler autant les patients souffrants que les professionnels dépités et épuisés. Le médecin nous écrit alors depuis le monde des douleurs, du sang et des masques, de l’incurable et de l’absurdité de vies qui s’effrondrent trop souvent dans le silence.
Le poids de nos traces est une bande dessinée poignante, dans un style visuel très photographique, qui mélange fiction et documentaire avec habileté. L’effet visuel de la deuxième partie du livre est angoissant : le défilé des patients se heurte à l’excédent d’informations médicales qu’ils reçoivent et les lecteur·rices se retrouvent nez-à-nez non seulement avec la souffrance humaine, mais aussi et surtout avec la violence d’un système de santé qui ne fonctionne plus depuis longtemps. Habilement, Julien Poitras nous parle de racisme, du dénigrement des patients, de la fatigue du personnel, et de la déshumanisation des services dans un monde qui court à sa perte.
Que ce soit dans la première partie sépia qui visite des souvenirs d’enfance ou dans la deuxième partie colorée qui met en scène le système de la santé, Julien Poitras nous place au coeur de son monologue intérieur et c’est ce qui fait la force de ce récit. C’est brutal, décourageant, mais ô combien nécessaire.
- Maison d’édition : MOELLE GRAFIK
- Textes et illustrations : Julien Poitras
- Date de parution : 8 avril 2025
- Nombre de pages : 128
Crédit photo : Annick Lavogiez
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