Martine Delvaux, professeure en littérature à l’UQAM et autrice de plusieurs essais féministes, vient de publier Le monde est à toi aux éditions Heliotrope. Ce texte personnel et pertinent, mi-lettre, mi-essai, invite à la réflexion sur l’amour, la filiation et la pensée féministe. Il est adressé à sa fille Elie, comme un héritage réflexif sur l’éducation d’une mère, la transmission des savoirs, des valeurs et des idées au sein d’une famille, et l’engagement d’une femme militante.
Être féministe, ce n’est pas, comme certains individus se plaisent à le caricaturer, se complaire dans une position de victime. Être féministe, c’est être vigilante, curieuse et à l’affut, critique et soupçonneuse des discours dominants. C’est regarder derrière pour voir devant, et continuer à rêver, par des paroles et des gestes militants, un monde plus tolérable, un monde où l’on vivrait mieux.
Être féministe, c’est être une trouble-fête, écrit Sara Ahmed, et devenir féministe, c’est choisir de demeurer, aussi longtemps qu’il le faudra, celle qui étudie. Occuper la place non pas de quelqu’un qui sait tout (comme on le reproche trop souvent aux féministes), mais celle de la personne qui apprend, qui tente sans cesse de comprendre.
– p. 69-70.
L’essai de Delvaux pose à la fois un regard bienveillant sur une relation mère-fille en action et en devenir, et un regard engagé sur le féminisme du et au quotidien. Delvaux écrit certes une lettre à son ado, mais aussi et surtout, elle explore ce qu’est l’amour en lien avec le féminisme. Et à travers cette exploration, elle nous amène à réfléchir à la place des femmes dans la société, à notre regard sur l’adolescence et les adolescentes, les corps, la maternité, la féminité et le militantisme dans la vie de tous les jours.
Il faut défendre le corps qu’on a ou qu’on souhaite avoir, s’opposer aux violences dont il est la cible, refuser sa déconsidération, sans objectification, contrer son invisibilisation. Il faut s’indigner contre le fait que certains corps soient mieux aimés que d’autres, que certains citoyens le soient plus que d’autres, que des visages, des chevelures, des physionomies aient la possibilité d’occuper ce monde avec fierté alors que d’autres non, et faire ce qu’il faut pour que ces corps-là, justement, aient le droit, eux aussi, d’exister librement. Mais ça ne veut pas dire qu’il faut y croire. Ça ne veut pas dire qu’il faut aimer son corps comme si c’était la chose la plus précieuse au monde, et y installer le cœur de notre identité. Si tu dois en être fière, que cette fierté soit stratégique et temporaire. Qu’elle serve une lutte qui servira à d’autres qu’à toi.
— p. 75.
Le livre se découpe en paragraphes adressés à Elie, en citations de personnalités de Beyoncé à Chimamanda Ngozi Adichie et en réflexions variées. Émotions, interrogations, doutes et prises de position, tout se mélange dans cet essai d’une grande justesse qu’on a envie de mettre dans de nombreuses mains.
Il n’y a rien à défendre, ni langue, ni nation. Il faut résister à la tentation des identités hégémoniques, et aux pantoufles du privilège. Il faut s’opposer sans cesse aux dominations et aux inégalités.
— p. 68.
J’ai apprécié la profondeur des idées et la légèreté sensible et engagée du ton, l’aspect à la fois complexe et militant, incertain et combatif de ce texte. L’objectif est de nous faire réfléchir et cela fonctionne habilement : je me suis remise en question de nombreuses fois dans ces quelques pages, tout en ayant l’impression, non pas de lire un ouvrage théorique, mais plutôt d’avoir une conversation bienveillante avec une amie. De plus, j’ai eu l’impression d’être face à tout ce que le féminisme incarne pour moi : des incertitudes, des questionnements, une immense ouverture à l’autre, des constantes remises questions, une profonde réflexion toujours en mouvement… et une imperfection assumée.
- Autrice : Martine Delvaux
- Éditions : Heliotrope
- Nombre de pages : 148
- Date de parution : février 2021 (première impression : 2017)
Crédit photo : Annick Lavogiez