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La tristesse des femmes

Tourner sur soi en technicolor est un roman en trois parties qui foudroie son lectorat par sa franchise, sa transparence et son contenu aux éternels échos dans nos histoires. La première partie, calque d’un scénario de film noir, avec didascalies et indications variées, c’est celle de l’enfance violée, des silences familiaux, des coups, de l’innocence perdue au détour d’une bière en trop. La deuxième partie, suite de poèmes en rafales, c’est l’adolescence, l’âge adulte brusqué, volé, les amours échoués, la solitude et les angoisses. La troisième partie, c’est le procès, l’espoir d’une fin, le refus de croire, l’ultime rejet de la société que trop de femmes partagent. Et pendant toutes ces étapes, le désir si fort d’être aimée et cet éternel questionnement : comment aimer quand on a été construite par le dégoût de soi et la peur de l’autre? Avec ce roman coup de poing, Marie-Christine Lemieux-Couture propose ici un récit douloureux, empreint d’un réalisme bouleversant.  

Toute ressemblance avec des personnes ou des situations présumées ou familières n’est pas purement fortuite, mais absolument fictive. Il n’y a peut-être rien de vrai dans ce livre, et pourtant, tout n’est possiblement pas faux. Les faits sont irrémédiables, la mémoire hoquette, la littérature compense.  

On ne va pas se le cacher, Tourner sur soi en technicolor est un livre difficile à lire, surtout en tant que femme. On se reprend à penser aux confidences de nos amies un soir autour d’une bière ou dans les couloirs d’une université sans scrupule, aux larmes recueillies, aux silences impuissants, aux coups de gueule et aux mains serrées jusqu’à devenir blanches de douleur. On repense aussi à tous ces hommes qui ne comprennent pas, certains malgré de sincères efforts, la souffrance laissée par la violence masculine, les marques invisibles, les diagnostics, les anxiétés, les hoquets de tristesse, l’impuissance, les flash-back.  

Y a des souvenirs qui ne sont plus tout à fait des souvenirs. Une mémoire parallèle, brouillée à force de ressassage. Les faits ont perdu l’exactitude du monde. Ils se mêlent avec ce qu’il aurait fallu faire, au lieu de figer. CE qui aurait dû se crier, au lieu de la peur recroquevillée en silences. Je ne connais rien d’autre, juste la peur. Je fige encore. Même la fuite m’échappe. Je suis faite de toutes ces histoires qui n’ont pas eu lieu, celles qui auraient pu être différentes, celles que j’oublie et celles qui restent. (p. 19) 

Une lecture nécessaire, qu’on a envie entre autres d’offrir à ceux et celles qui veulent comprendre, ceux et celles qui récupèrent ces vies brisées et veulent les aimer, ceux et celles qui ne comprennent pas, mais qui voudraient, ceux et celles qui veulent être des épaules dans lesquelles se nicher quand les souvenirs se font trop lourds à porter seule.  

Je me demande combien ça prend de paroles de femmes pour reconnaitre la culpabilité d’un seul homme. (p. 94) 

Un roman qu’on espère aussi lire un jour en se disant que tout ça, ça appartient au passé.  

  • Titre : Tourner sur soi en technicolor 
  • Auteure : Marie-Christine Lemieux-Couture 
  • Édition : les éditions du remue-ménage
  • Date de parution : 2019 
  • Nombre de pages : 122 pages 

Crédit photo : Annick Lavogiez

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