J’ai d’abord découvert le talent de Mélodie Vachon Boucher grâce à sa page Instagram et à la vente de ses superbes illustrations sur Etsy. Pour ma fête en 2017, je me suis offerte l’une d’entre elles, qui depuis trône fièrement sur mes tablettes dans la pièce principale de mon appartement. Ensuite, j’ai lu Les trois carrés de chocolat et j’ai voulu en savoir plus sur la démarche de cette auteure, ce qui l’inspire et la touche, d’où lui venait son talent et ses idées, etc. Je l’ai donc contactée et c’est avec beaucoup de sincérité que Mélodie m’a accordé cette entrevue.
Est-ce que tu pourrais nous parler un peu de ton parcours, qu’est-ce qui t’a amené à faire de la bd et de l’illustration ?
Il parait que je suis née avec un crayon dans les mains. J’ai eu très tôt l’envie de m’exprimer, d’apprendre à écrire. Je suis curieuse de nature et j’ai eu la chance d’avoir des parents qui ont nourri ce besoin d’apprendre. Enfant, j’ai pris des cours de tout: danse, musique, dessin, peinture, langues, patinage artistique… J’imagine que ce début de parcours a écrit, quelque part en moi, la certitude que je pouvais tout faire. Le village où j’ai grandi m’a rapidement semblé trop petit pour mes aspirations et mes intérêts. J’ai donc quitté le Centre-du-Québec pour la grande ville quand est venu le temps de rentrer au cégep.
Du côté académique, j’ai fait mon parcours collégial en arts plastiques et en arts visuels, j’ai aussi étudié le vitrail pendant une courte période à Paris. Puis, au niveau universitaire, je me suis tournée vers le design. J’ai choisi l’université Concordia pour déstabiliser la francophone en moi et pour m’entourer de gens de différents horizons culturels et professionnels. Je sentais le besoin de me mettre en danger pour avancer mieux et bien. J’ai eu la chance d’avoir une mentore incroyablement inspirante, Rhona Richman Kenneally, qui a vraiment guidé et encouragé ma quête de sens dans mon rôle de créatrice. J’ai complété ma formation en design avec beaucoup de cours en sociologie, ce qui a approfondi davantage ma compréhension des rapports entre les idées, les gens et les choses. Je suis sortie de l’université gonflée à bloc, prête à entreprendre une tonne de projets créatifs.
Tout au long de ce parcours, le dessin a toujours été là, mais il était devenu un outil plus qu’un médium d’expression au fil du temps. C’est à l’automne 2015 que le besoin de reprendre le crayon plus sérieusement s’est manifesté. Je me suis souvenu de toutes ces heures passées dans ma chambre, étant enfant, à écrire des histoires, à les dessiner et j’ai eu envie de sérieusement m’y remettre. Je me suis inscrite à un atelier de bande dessinée avec Jimmy Beaulieu. C’est là que tout a (re)commencé. Il faut savoir que j’entretenais un immense préjugé défavorable à l’endroit de la bande dessinée: je n’en lisais pas du tout et ça ne m’intéressait pas du tout. Pour moi, c’était un médium réservé aux histoires de science-fiction ou d’aventuriers médiévaux. J’ai alors rencontré le travail de Julie Delporte, Pascaline Lefebvre, Chloé Cruchaudet, Obom, Dominique Goblet. J’y ai trouvé des voix très fortes, des récits à l’échafaudage solide et fragile à la fois, des rendus graphiques époustouflants de vulnérabilité, auxquels j’ai pu m’identifier. De la dentelle en béton armé. J’ai voulu faire partie de ça.
C’est une longue réponse mais c’est très important pour moi, cette reconnaissance de ce grand détour qui se transforme finalement en chemin principal. Pour la première fois dans ma vie professionnelle, je me sens à ma place. J’ai le sentiment d’avoir trouvé mon chez-moi. Et le fait que ce soit dans un médium où je n’aurais jamais pensé mettre les pieds, ça me fait beaucoup sourire.
Quels thèmes préfères-tu aborder dans tes dessins et quelles sont tes sources d’inspiration ?
Le thème qui m’inspire le plus, je pense, c’est le deuil. Pas nécessairement le deuil dans la mort de l’autre, mais plutôt le deuil dans l’acceptation que les choses ne se passent pas comme on le souhaite la plupart du temps. L’acceptation de perdre des choses, des gens, des parties de soi. Et la résilience dans l’acceptation, aussi. J’attends beaucoup de moi-même, des autres, de la vie, des choses. Je suis donc souvent déçue et blessée. Je pense que j’ai besoin de transformer ces milliers de petits (et parfois très grands) deuils en quelque chose de beau, de vivant. De sacré même, en tombant dans la nostalgie. C’est la façon dont on se raconte les choses qui détermine le sens de ce que l’on vit après tout. J’essaie de tourner ça de tous les côtés jusqu’à ce que je trouve le plus beau. Pour moi, c’est ça l’écriture.
Il y a le recueillement qui m’intéresse aussi, et qui est assez lié au deuil finalement. Mon prochain livre à paraître chez Mécanique Générale l’automne prochain est une adaptation d’un roman autoédité en 2012 qui s’appelle Le meilleur a été découvert loin d’ici. Ça se passe dans deux endroits où l’on peut trouver le recul: en voyage et dans une abbaye, lors d’une retraite silencieuse. J’aime beaucoup ces endroits où on n’est personne, ces parenthèses hors du quotidien, qui nous obligent à rentrer à l’intérieur de soi pour trouver les réponses.
Puis, la femme, dans son drame individuel, est un thème récurrent dans mon travail. Je n’ai pas la flamme militante de celles qui portent les étendards dans la rue mais le féminisme est toujours présent dans ce que j’écris ou ce que j’illustre. Le corps, le cœur et la tête de la femme sont des territoires très complexes, mille fois pillés. Écrire sur le sujet m’aide à réfléchir sur la maternité (j’ai deux enfants), la féminité, l’identité, l’égalité. Même si ce n’est pas concrètement du militantisme, j’espère contribuer à ma façon à apaiser les tourmentes. En tout cas, moi ça m’apaise énormément d’écrire des histoires comme Ma fille ne m’aime pas (La chamade, recueil publié en autoédition le mois dernier).
Si tu avais à décrire ton œuvre en 3 mots, quels seraient-ils ? et pourquoi ?
Mon « oeuvre » est encore jeune, c’est difficile. Je n’ai pas beaucoup de recul.
Fragile. Instinctive. Ancrée.
Dans ma biographie, sur le site de mon éditeur, je dis que « Je cours à tâtons. » Ça explique bien mon état d’esprit, je trouve: je ne sais pas trop où passer, je ne suis pas certaine du chemin, mais j’ai la fougue de celle qui sait où elle va.
– – –
En plus de son livre Les trois carrés de chocolat publié aux Éditions Mécanique Générale, il est possible aussi de se procurer ses œuvres autopubliées à la librairie Port de tête et ailleurs (voir les points de vente ici)
La chamade, 2017 – Un recueil de cinq courtes bandes dessinées
Le meilleur a été découvert loin d’ici, 2012 – Un récit de voyage et de retraite silencieuse
Il est possible de suivre Mélodie sur sa page Facebook et son compte Instagram @melodievachonboucher.
Crédit photo : Mélodie Vachon Boucher