Le 4 février prochain au Sporting Club de Montréal aura lieu le « Chapitre 1 » d’un projet bien particulier : une lecture publique, par onze femmes, d’extraits de journaux intimes, réels ou fictifs. Rencontre avec le collectif responsable de ce projet qui s’étalera sur onze mois.
A. Lavogiez : Les Intimistes est un collectif de 11 comédiennes qui « prennent parole et livrent un morceau de leur intimité ». Comment est né ce projet et à qui s’adresse-t-il?
Les Intimistes : Au départ, nous voulions donner une voix aux préoccupations intimes et singulières, laisser des voix intérieures féminines prendre parole. Le projet a évolué vers l’idée de porter sur scène nos préoccupations, dans un esprit de confession, à la manière d’un journal intime. Puis, on a eu l’idée d’un projet mensuel! Chaque mois, nous présenterons des textes rassemblés autour d’un nouveau thème toujours appréhendé par un regard de femme, comme s’il était partagé dans le plus grand abandon et le plus grand secret à soi-même ou à une personne de confiance…. sauf que la salle sera remplie d’inconnu.e.s.
A. Lavogiez : Qu’est-ce qui relie les comédiennes du collectif?
Les Intimistes : Certaines d’entre nous étaient déjà amies ou se connaissaient du milieu avant que nous ayons cofondé ce collectif. Mais ce qui nous unit avant tout, c’est que nous partageons une même urgence de porter à la scène diverses expériences intimes des femmes d’aujourd’hui et qu’on embrasse nos différences. Même si on est onze comédiennes établies à Montréal âgées entre 25 et 40 ans, on a un bagage culturel très riche. Il y en a parmi nous qui sont de nationalité ou d’origine belge, française, algérienne, malienne, allemande, italienne, uruguayenne ou colombienne. Ça nous amène une grande diversité d’idées et de manières de faire quand on travaille ensemble! Et même chose pour notre bagage de scène hétéroclite, ça nous donne accès à une variété d’outils de l’écriture à la scène. Il y en a qui sont formées en jeu pour la caméra, en scénarisation, en danse, en musique, en art performance, en clown… Il y en a qui ont fait leur études au Drama Center de Londres, au Studio Alain de Bock à Paris, au Lee Strasberg Institute de New York, au Conservatoire d’art dramatique de Montréal ou à la Mel Hoppenheim School of Cinema, tout comme des autodidactes! Et c’est cette diversité de perspectives, à la fois interculturelle et transdisciplinaire, que nous mettons en commun dans notre collectif, tout en essayant de donner une voix singulière à chacune d’entre nous.
A. Lavogiez : Pourquoi avoir choisi le format journal intime ?
Les Intimistes : D’abord, c’était parce que nous étions intéressées à ouvrir des discussions sur des événements ou des pensées que beaucoup de femmes gardent pour elles. Et aussi, le journal intime nous paraissait intéressant parce qu’au Québec, il a émergé à la fin du 19e siècle, comme pratique littéraire personnelle chez les jeunes femmes bourgeoises et instruites. Donc, pour nous, c’était excitant de reprendre cette forme de littérature secrète initialement associée aux femmes pour la porter sur la place publique. Bien sûr, aujourd’hui, la mise en scène du quotidien sous forme diaristique est courante sur les réseaux sociaux, mais ce qui nous intéressait c’était justement de donner corps à cette écriture. Mais nous ne nous limitons pas uniquement à la forme du journal intime. Pour notre premier chapitre, certaines ont effectivement choisi de reprendre des extraits réels de leur journal, mais d’autres ont aussi choisi l’écriture de souvenirs autobiographiques, tandis que certaines ont préféré aborder des sujets difficiles à travers des personnages imaginaires, en donnant une voix à celles qu’elles seraient peut-être dans une autre situation que la leur.
A. Lavogiez : Quel rapport entretenaient les comédiennes à l’écriture avant ce projet?
Les Intimistes : C’est très variable pour chacune d’entre nous, en fait! On a la chance d’avoir quelques scénaristes et auteures parmi nous, tandis que d’autres avaient moins souvent pris la plume. C’est aussi une des raisons qui nous a orienté vers le format journal intime : chacune a vécu des expériences propres qui méritent selon nous d’être partagées, chacune a donc matière à écriture quel que soit son parcours en création littéraire. Mais quand on se rencontre pour partager nos textes et en discuter, c’est très stimulant de bénéficier de l’oeil des auteures plus expérimentées. C’est comme un atelier!
A. Lavogiez : Les textes seront-ils publiés suite aux représentations?
Les Intimistes : Non, il faudra venir les entendre à nos représentations… et chaque spectacle ne sera présenté qu’une seule fois! C’est un peu à la manière de l’art performance, où l’action n’est accomplie qu’une fois, sans laisser de trace. Considérant qu’il s’agit de textes personnels, il nous semblait que le geste de livrer notre intimité prendrait plus de force en restant éphémère, unique et non reproductible.
A. Lavogiez : Votre projet s’étale sur plusieurs « chapitres », sur plusieurs mois. Comment abordez-vous cette temporalité?
Les Intimistes : Oui, nous présenterons un chapitre par mois pendant toute l’année 2017. Puisque nous produisons la plupart de nos textes au fur et à mesure, parfois seulement un mois à l’avance, les thèmes des présentations sont choisis en fonction des textes que chacune amène. Parmi ces textes, nous en choisissons un qui nous surprend particulièrement et les autres rebondissent sur les thèmes qui y sont abordés, soit en fouillant dans leur journal intime, en écrivant un souvenir autobiographique ou en se projetant dans une autre situation. Et à travers les mois, les gens pourront suivre l’évolution des préoccupations de chacune d’entre nous, qu’elles relèvent du fait vécu ou de la projection imaginaire. Et certains chapitres s’ouvriront également sur le travail d’autres auteures. Par exemple, nous avons eu un coup de cœur pour le recueil de nouvelles Des Femmes Savantes (finaliste du Prix littéraire des collégiens 2017) de Chloé Savoie-Bernard, dans lequel diverses femmes prennent parole avec force, des femmes qui nous ressemblent ou qui nous rappellent des femmes que nous connaissons, des voix brutalement vraies.
A. Lavogiez : Votre projet mélange fiction et réalité, puisque certaines comédiennes vont lire des extraits réels de journaux intimes. Comment abordent-elles cette expérience? Y-a-t’il des appréhensions particulières, différentes de lorsque vous abordez un rôle écrit entièrement fictif?
Les Intimistes : C’est certain que même lorsqu’il s’agit d’être dans la peau d’autrui, on cherche à révéler des morceaux de soi, car c’est souvent en acceptant de s’abandonner à nos comportements et réactions les plus secrètes, et même honteuses, que le personnage vit le plus intensément. Mais dans le cas de celles d’entre nous qui ont choisi la veine autobiographique, elles livrent également leurs pensées, leurs idéaux, leurs positions, elles témoignent d’actions anciennes et mentionnent même parfois les noms de personnes qui seront parmi l’auditoire, c’est donc plus compromettant! Certaines peuvent être cependant guidées par le malaise: si elles sentent l’élan de taire un morceau d’elles-mêmes, elles se savent sur la bonne voie, vers une mise en danger réelle et une véritable connexion humaine.
A. Lavogiez : Le premier spectacle du collectif intitulé « Chapitre 1: J’suis jamais malade en été d’habitude » sera présenté le 4 février prochain à 19h au Sporting Club. Qu’aimeriez-vous que le public retienne de cette première expérience?
Les Intimistes : Dans ce spectacle, on s’intéresse au rapport à la maladie de jeunes femmes. On raconte onze vies, comme des passages de journaux intimes et au centre, il y a Patricia, qui découvre sa maladie invisible, qui apprend à faire face aux regards des autres, à celui d’elle-même, à repenser ses rêves et, finalement, à vivre avec cette nouvelle réalité. S’entrecoupent à ses monologues autobiographiques des pages de la vie de gens qu’elle a croisés et qui, eux aussi, font face à leurs angoisses, à leurs rêves modifiés. On cherche à prendre un ton vrai et sans détour, en explorant l’intimité profonde des différents personnages, qu’ils nous représentent ou qu’ils soient fictifs. En mettant son histoire en lien avec celle des autres femmes, on a découvert un lien sensible qui nous unit. On pense que ce spectacle pourra assurément toucher des gens atteint d’une maladie, mais aussi toute personne qui voudrait en apprendre davantage sur des expériences et perspectives féminines. Quelque part, le chemin de Patricia rejoint les angoisses de plusieurs autres personnes de sa génération et on espère que les spectateurs pourront s’y projeter.
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Où? Sporting Club / 4671 Saint-Laurent, Montréal H2T 1R2
Quand? Samedi 4 février 2017
Coûts : Billets 7$ en prévente, disponible auprès des comédiennes. Billets à la porte : 10$.