La peur de l’Étranger, mieux connue sous le nom de xénophobie, est à mon avis le grand mal du siècle. D’enseigner l’empathie aux enfants est donc un défi colossal. Dans Les Galettes de grand-maman, l’autrice Emilie Plank[1], maniant tout aussi habilement les mots que les crayons de bois, propose une fable sur les personnes migrantes en revisitant l’image du loup dans les contes classiques. Alors que le Fonds international pour la protection des animaux qualifie pourtant d’« essentielle[2] » la présence de ce canidé dans les écosystèmes, notre imaginaire collectif attribue rarement au loup le rôle du héros. Bien souvent dans le monde littéraire, il est le méchant, le prédateur, le monstre. Il suffit de se remémorer le conte Le petit Chaperon rouge ou celui des Trois Petits Cochons. D’ailleurs, qui n’a jamais entendu l’expression « se jeter dans la gueule du loup » ou encore la légende du loup garou?
Dans ce livre jeunesse, on y raconte l’histoire de la petite louve Lena qui est forcée de quitter son pays d’origine avec sa mère, sans sa grand-maman, puis de traverser montagnes et rivières pour aller rejoindre sa cousine Hanna. Un parcours migratoire qui est à l’image de millions d’autres personnes migrantes à travers le monde[3]. En effet, en quête d’une vie meilleure, certaines d’entre elles parcourent avec leurs enfants jusqu’à 8000 kilomètres, franchissant en cours de route des zones dangereuses[4].
Puis, l’histoire de la petite louve se poursuit. Victime de l’ignorance de ses camarades de classe, mais également de moqueries et de rejet lors de son premier jour d’école, Lena se réfugie dans ses souvenirs et dans le réconfort que lui procurent les fameuses galettes de sa grand-maman maintenant cuisinées par sa mère. L’autrice image bien cette peur de la différence manifestée par les autres élèves et l’ignorance dont iels font preuve. De manière générale, toutes deux combinées ont des conséquences dramatiques : une étude du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR) fait état d’une croissance fulgurante du nombre de crimes racistes motivés par la haine au cours de la dernière décennie[5]. Outre les fausses informations qui semblent se propager aussi rapidement que la maladie à coronavirus, plusieurs autres raisons expliquent une telle hausse : le regain en popularité de certaines théories du complot comme celle du « Grand remplacement » qui présuppose le lent « génocide » des personnes blanches dans leur « pays d’origine » par l’arrivée massive de personnes migrantes[6]; ou encore les discours politiques qui contribuent à renforcer cette rhétorique anti-migrants/es comme ceux prononcés par Marine Le Pen et Éric Zemmour lors de la plus récente élection présidentielle française et ceux de Donald Trump qualifiant à de nombreuses reprises les migrants de « violeurs » et de « vendeurs de drogues » « infestant les États-Unis »[7]. Plus près de chez nous, le ministère de la Sécurité publique du Québec affirme surveiller de près certains « loups solitaires » à risque de perpétrer des « actes xénophobes violents » dans la province[8]. Deux groupes d’extrême droite anti-immigration, actifs au Québec, font d’ailleurs référence au loup : les Soldats d’Odin, le magicien Odin était qualifié à l’époque de dieu des loups; et La Meute, dont le symbole est une patte de loup.
Outre la douceur des illustrations, ce livre jeunesse appelle à l’écoute, à la résilience et surtout au courage. C’est ainsi que le lendemain, prenant son courage à deux pattes, la petite louve décide d’en parler à son enseignant, M. Dubois. Similairement aux écoles en Finlande et au Danemark où l’empathie est enseignée aux enfants[9], celui-ci fait la proposition suivante à la classe : « La prochaine fois que vous entendez des histoires de méchants loups, seriez-vous d’accord pour être courageux et poser des questions?[10]». Une histoire empreinte d’espoir à dévorer aussi rapidement… qu’une galette tout juste sortie du four.
[1] Emilie Plank est spécialiste en communication non-violente et en apprentissage socio-émotionnel et enseignante à l’école Buissonnière (Outremont).
[2] Fonds international pour la protection des animaux. « loup ». En ligne : <https://www.ifaw.org/fr/animaux/loups#:~:text=Superpr%C3%A9dateur%2C%20le%20loup%20joue%20un,nutriments%20aux%20autres%20esp%C3%A8ces%20sauvages>.
[3] Selon les données compilées par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le nombre de personnes migrantes ayant atteint les 100 millions en 2022.
[4] Pour aller plus loin sur le sujet, voir les différentes chroniques du journaliste Romain Schué (Radio-Canada).
[5] Frédérick Nadeau, Martin Geoffroy et Hiba Qchiqach. (mai 2021). L’extrême droite au Québec : Chronologie des événements et de la violence (2010-2020). En ligne : Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR) <https://cefir.cegepmontpetit.ca/wp-content/uploads/2021/05/CEFIR-Rapport-de-recherche-Chronologie-v3.pdf>.
[6] Global Project Against Hate And Extremism (GPAHE). The « Great replacement » conspiracy theory: From the fringe of white supremacist circles to the mainstream. En ligne : <https://globalextremism.org/the-great-replacement/?gclid=CjwKCAjwvdajBhBEEiwAeMh1U7AwH-R-sLrhsBVtnwJJEay7PtWrxSB9yKsuyAufRwdzq9OCgKlqnBoC2ioQAvD_BwE>.
[7] Notre traduction. Southern Poverty Law Center. (2019). Trump is lying about immigrant crime – and the research proves it. En ligne : <https://www.splcenter.org/news/2019/05/17/trump-lying-about-immigrant-crime-and-research-proves-it>.
[8] Rapport de 2017.
[9] Institut européen pour le développement des relations sociales. (23 janvier 2017). Les cours d’empathie aux écoles scandinaves : source de qualité de vie au travail. En ligne : <https://www.iedrs.com/cours-dempathie-aux-ecoles-scandinaves-source-de-qualite-de-vie-travail/>.
[10] Voir la page 45 du livre.
- Autrice : Emilie Plank
- Nombre de pages : 48
- Date de parution : 2023
- Éditeur : Éditions Québec-Amérique inc.
Crédit photo: Kathryn Blanchette