Une jeune berlinoise rédige un journal pendant quelques jours, entre avril et juin 1945. Lucide, distante, digne, elle raconte quotidiennement la faim, les tickets de ravitaillement, le bruit des bombes, les nuits dans les abris et l’arrivée des soldats russes qui avancent depuis l’Est. La peur, la honte, la souffrance, rien n’est tabou dans Une femme à Berlin, récit anonyme d’une force éprouvante, publié pour la première fois quelques années après la Deuxième Guerre mondiale, par un éditeur américain, et mal reçu à l’époque par l’Allemagne meurtrie. Et pour cause.
Nuit paisible. Tirs incessants dans le lointain. Aujourd’hui, le petit peuple de ma cave est complètement à plat. On n’entend plus un son, pas un mot. Rien que des ronflements et la respiration des enfants qui poussent des petits cris dans leur sommeil.
La narratrice met ici en scène avec franchise et violence le vécu de femmes impuissantes au cours des derniers jours d’un empire qui s’effondre. Rien n’est épargné au lecteur qui assiste, impuissant et bouleversé, à une douleur humaine comme on a peu l’habitude d’en lire. L’auteure nous emmène dans un chaos de souffrance, entre estomacs vides et robes retroussées sauvagement par l’ennemi, quand il faut fraterniser pour une pomme de terre gâtée, prier pour qu’une dernière culotte ne soit pas déchirée, se cacher de ceux qui violent, et obéir à ceux qui dominent, qui forcent, qui infligent. Chaque page est un tourment et une attente interminable vers un avenir incertain, une libération ambigüe, un lointain inatteignable.
Samedi 28 avril, au matin : la dernière fois que j’ai écrit. Depuis, trois jours ont passé, pleins à ras bord de choses folles, de visions, d’angoisses, d’émotions au point que je ne sais plus par où commencer, quoi dire. Nous sommes au fond du trou, tout au fond. Chaque minute de vie se paie cher. La tempête passe par-dessus nos têtes. Des feuilles toutes tremblantes emportées dans un tourbillon, et nous ne savons pas où il nous entrainera.
Récit unique dans sa forme et son contenu, Une femme à Berlin fait partie de ces livres qu’on appréhende un peu d’ouvrir et qui vous accompagnent longtemps. La vision humaine de l’auteure, qui ne tombe jamais ni dans la justification ni dans la haine de l’autre, et son regard acéré sur ses compatriotes permettent de prendre conscience de toutes les souffrances vécues par des milliers de femmes au sortir de la guerre. Lecture difficile, oui, sans aucun doute, mais utile, indispensable, peut-être pour se rappeler l’étendue des victimes laissées par toute guerre, pour ne pas oublier la cruauté de l’homme et aussi, peut-être, garder en mémoire la résilience de celles et ceux qui ont pu se relever.
Dieu sait ce qu’on va encore devoir manger. Je n’ai pas encore atteint le point limite auquel ma vie serait menacée, j’ignore quelle distance m’en sépare encore. Je sais seulement que je veux survivre – à l’encontre de toute raison, absurdement, comme une bête.
- Titre original : Eine Frau in Berlin
- Auteur : Anonyme
- Nombre de pages : 393 pages
- Date de parution : 2002
- Édition : Folio