Ma rencontre avec Dany Boudreault a été progressive. Je l’ai d’abord rencontré à travers ses rôles au petit écran. Puis recroisé au théâtre. Et ensuite, découvert lorsque j’ai lu pour la première fois les pages de son recueil de poésie Et j’ai entendu les vieux dragons battre sous la peau. Et finalement, c’est le temps d’un café, lors d’un après-midi de pluie, que j’ai commencé à connaître l’humain derrière les mots et les personnages.
Son parcours s’articule à l’inverse de ma rencontre avec cet artiste : c’est comme poète qu’il a fait sa première incursion dans le monde artistique. Originaire d’un petit village au Lac-St-Jean, c’est par l’écriture de prière pour le feuillet paroissial qu’il a commencé à utiliser les mots et leurs rythmes pour raconter une image. Si aujourd’hui il se décrit comme athée, il a conservé de cette période cet amour des mots qui se transforma en un amour de la poésie. La publication de son premier recueil, à l’âge de 15 ans, lui insuffla une confiance en soi et le poussa à lire davantage de poésie. Son entrée à l’École nationale de théâtre et son incursion dans le monde de la scène et de la télévision ne lui enlevèrent pas son désir d’écriture, la poésie conservant une place centrale dans sa vie.
La poésie est, pour Dany Boudreault, « une façon de sortir de soi et de se regarder autrement ». Ses expériences, ses voyages, ses questionnements et ses lectures sur la psychanalyse constituent des sources d’inspiration pour ses textes. La nature sauvage et le Québec rural de son enfance reviennent également dans ses poèmes. Toutefois, c’est l’obsession du corps et le désir qui semblent être les thématiques transversales dans ses écrits, le mot « corps » étant celui qui est le plus souvent répété dans ses recueils. Les possibles de la poésie permettent d’aborder ces questionnements découlant de la tension permanente entre le corps donné et celui choisi. Par le biais de son quotidien et de ses écrits, il tente de faire éclater les genres, à la fois sexuels et littéraires. Pour Dany Boudreault, en changeant notre rapport au sexuel, qu’il définit comme étant un pouvoir de séduction permanent non lié à l’orgasme, on peut changer notre rapport au monde.
La transposition de ces thèmes à l’écrit est influencée par son métier de professeur à l’École nationale de théâtre : ses étudiantes et étudiants l’obligent à nommer les choses, à articuler les concepts, notamment autour de la question de la corporalité, ce qui, en retour, influence son écriture. Mais c’est son métier d’acteur qui rend sa poésie différente : son écriture est orale, éprouvée par la parole ; elle est marquée par des ruptures de tons et une musicalité. C’est d’ailleurs cette particularité d’écriture qui teinte son projet La fin du monde est une fausse piste, une lecture théâtrale et musicale de certains de ses textes, accompagné de son ami et musicien Emmanuel Schwartz (présentée au Festival international de littérature en septembre 2017).
La poésie de Dany Boudreault navigue brillamment les fines limites entre l’intime et l’imaginaire, entre le souvenir et le rêve. Ses mots sont porteurs d’un optimisme, mais « sans tomber dans le moralisme », souligne-t-il. « Les mots peuvent influencer le court des choses. La poésie crée des images via des mots, qui ne semblent pas avoir de liens, qui se frottent. Le rythme de la poésie peut changer notre corps et le corps social », ajoute-t-il. Les mots sont porteurs de changement, et la poésie invente des mondes. Mais les défis du monde réels restent. La myriade de défis environnementaux contemporains transporte, pour Dany Boudreault, « un sentiment très fort de fin ». Mais cette fin n’est pas La Fin : l’amour peut nous sortir de ça. Et cet amour se transmet notamment à travers la littérature, à travers la poésie.
En rafale avec Dany Boudreault
- Quelle est votre prochaine aventure littéraire ?
La présentation de mon texte Corps célestes au théâtre dans deux ans et la publication de mon premier roman, inspiré de mon voyage au Mali.
- Qui sont vos inspirations littéraires ? Et dans la vie ?
Marguerite Duras, dans la vie et au niveau littéraire. Isabelle Hupert, pour ses interprétations et sa vision du jeu. Ovidie pour son traitement de la question de genre. Et Gabriel Nadeau-Dubois, pour sa « drive », son côté rassembleur et sa capacité d’auto-réflexion et de critique personnelle.
- Quel est le livre sur votre table de chevet ?
Dans mon sac à dos, j’ai Please Kill Me : The Uncensored Oral History of Punk (Gillian McCain et Legs McNeil, 1996) et à la maison j’ai Un jour je te dirai tout (Brigitte Haentjens, 2017).
- Quel est le dernier livre que vous avez terminé ?
L’art de la joie de Goliarda Sapienza (1998), un livre sur les changements dans la classe ouvrière italienne. C’est le seul livre de Sapienza et il a été publié posthume.
- Quel est votre livre préféré ? Et votre auteur.e préféré.e ?
Le ravissement de Lol v. Stein et Maladie de la mort, tous les deux de Marguerite Duras.
Crédit photo : Marie-Andrée Lemire (pour le Festival international de littérature – 2017)