« Partir au-delà des frontières » est un album pour enfants publié initialement en anglais sous le titre « The Journey » en 2016 par Flying Eyes Books, traduit et publié la même année par Gallimard jeunesse.
Partir au-delà des frontières est une perle, un album magnifique réalisé par la jeune illustratrice italienne résidant désormais en Suisse, Francesca Sanna. Il s’inscrit dans la foulée d’un certain nombre d’albums pour enfants qui traitent fort bien de l’enjeu des migrants aux portes de l’Europe (L’Histoire de Rachel, Y’a pas de place chez nous – sur la photo).
Il faut dire qu’il n’est pas facile (et sans doute pas souhaitable) de soustraire les images récurrentes de bateaux, de rafiots de migrants, où s’entassent de nombreux enfants, du regard de notre progéniture, finalement privilégiée (même si le dernier caprice de junior nous ferait peut-être douter). Compte tenu de l’ampleur du phénomène, de sa constance, il existe des manières de raconter ces choix, ces déplacements aux enfants, avec une langue, une approche qui leur convient.
Francesca Sanna est elle-même une immigrée dans son pays d’accueil, où elle a trouvé des similitudes dans le discours migratoire que celui qu’elle connaissait dans son pays d’origine. C’est au fil des rencontres dans un centre pour réfugiés en Italie qu’elle croise le chemin de deux jeunes filles qui vont définir en fait les contours de l’album que j’ai entre les mains. « À leur contact », écrit-elle à la fin du livre, elle a réalisé « tout ce que ce voyage représentait » Dans le cadre de sa maîtrise en illustration, elle choisit donc de réaliser ce livre pour enfants, de conter l’histoire de ce grand dérangement qu’est la migration.
L’histoire commence quelque part, dans une jolie ville que l’on imagine au bord de la Méditerranée. Avec ses cigales, ses minarets, ses arcs en plein cintre, et la mer lointaine et sombre – tache d’encre noire qui borde la belle page. Puis « la guerre est arrivée ». La tache sombre se fait ombres chinoises, menaçantes. Et soudain…
Le choix de partir n’en est plus un. C’est une nécessité. Et la narratrice, son petit frère et sa mère se retrouvent sur les routes. De plus en plus loin. De plus en plus démunis. Et un mur, un mur infranchissable…
Il y a, à ce stade, dans l’album une véritable filiation picturale et pratiquement narrative avec l’album réalisé il y a plus de 20 ans par Faith Ringgold sur Harriet Tubman (Aunt Harriet’s Underground Railroad in the sky) – qui guidait les esclaves fuyant clandestinement le sud des États-Unis pour le Canada.
Puis de frontière en frontière, l’album s’éclaire en ne faisant que souhaiter, sans l’assurer, une fin heureuse. Et la narratrice termine son histoire sur l’image des oiseaux migrateurs qui ne connaissent pas de frontière. Et finissent toujours par rentrer chez eux.
« Partir au-delà des frontières » est un album à mettre entre toutes les mains. Ni choquant, ni misérabiliste, il raconte de manière moins acide et cru que Titeuf (mais on ne vise pas les mêmes âges non plus), et de façon pourtant efficace les enfants, la guerre, les migrations. Et parfois face aux murs qui s’élèvent de partout dans le monde, aux politiciens qui invoquent la fermeture des frontières comme panacée universelle, on serait tenté de remettre cet album, aisément accessible aux enfants, totalement empreint d’émotions et de courage.