Si vous recherchiez un entretien intellectuel entre deux spécialistes de politique internationale, cet ouvrage tombe pile-poil ! Noam Chomsky, célèbre anarchiste de 95 ans, et le marxiste Vijay Prashad se livrent à une critique féroce de la politique étrangère des États-Unis et de ses interventions militaires des sept dernières décennies en passant par l’Afghanistan, l’Irak et la Libye. L’ouvrage aborde également différents thèmes auxquels je me suis familiarisée durant la complétion de mon baccalauréat en science politique et de ma maîtrise en droit international soit: la théorie des dominos, l’impérialisme, le complexe militaro-industriel, le keynésianisme militaire, la «guerre juste», l’intervention humanitaire, la responsabilité de protéger, l’ordre mondial, la guerre hybride, etc.
D’emblée, un bref rappel : les États-Unis possèdent environ 800 bases militaires à travers le monde et sont responsables de près de 39% des dépenses militaires mondiales [1]. Somme toute, Chomsky est d’avis que les États-Unis nous entraînent vers la destruction et la catastrophe climatique, et qualifie la puissance américaine d’«État terroriste de premier plan». En appui à son propos, il cite une étude réalisée par le Bureau of Investigative Journalism qui affirme qu’entre 2010 et 2020, les États-Unis auraient perpétré environ 14 000 attaques de drônes, «tuant entre 8858 et 16 901 personnes (dont entre 910 et 2200 civils, parmi lesquels entre 283 et 454 enfants)» [2].
Chomsky et Prashad soutiennent donc qu’en agissant avec mépris au regard du droit international, les États-Unis, par leurs différentes interventions militaires, ont plongé le Moyen-Orient dans le chaos, lesquelles interventions ne leur ont pas permis d’atteindre ne serait-ce qu’un seul objectif outre celui de «montrer ses muscles» [3]. Qui plus est que celles-ci ont entraîné des souffrances innommables pour la population. En effet, alors que les États-Unis se sont retirés d’Afghanistan le 15 août 2021, ce sont au total des centaines de milliers de personnes qui auront été tuées, dont 40% d’enfants selon une étude des Nations unies [4]. De plus, selon le ministère de la santé publique afghan, l’Afghanistan connaît aujourd’hui l’une des pires crises humanitaires : près du 2/3 de sa population souffrent de problèmes de santé mentale en raison de la guerre, environ la moitié vit en-dessous du seuil de pauvreté et le taux d’analphabétisation avoisine les 60% [5]. De son côté, la guerre en Irak a déclenché un conflit confessionnel, alors que les communautés chiites et sunnites vivaient auparavant bien ensemble. Par conséquent, l’Irak d’aujourd’hui est des plus divisées et ce conflit confessionnel s’est propagé à la vitesse grand V à l’ensemble du Moyen-Orient. Enfin, la Libye est aujourd’hui déchirée par le retour de groupes islamistes réactionnaires, mais aussi par diverses milices qui contrôles les différents territoires, sans parler des importantes quantités d’armes qui se trouvent maintenant entre les mains de groupes terroristes.
Au final, les auteurs rappellent que les répercussions de ces interventions américaines résonnent partout en Afrique du Nord, ayant déclenché entre autres des guerres au Mali et au Nigéria, et provoqué des mouvements migratoires sans précédent notamment vers l’Europe. Résultats : retour en force de la xénophobie, explosion du nombre de crimes haineux et montée en popularité des mouvements d’extrême droite. À ce propos, on peut citer le cas du Rassemblement national (parti politique français) qui a récemment remporté le premier tour des dernières législatives françaises ou encore les exemples de l’Italie, la Hongrie, la Finlande et les Pays-Bas où un parti d’extrême droite détient actuellement le pouvoir.
Bref, alors que nous sommes à moins d’une centaine de jours de l’élection présidentielle américaine prévue le 5 novembre prochain, où est notamment candidat Donald Trump – candidat qui galvanise l’extrême droite et qui est en avance dans les sondages – souhaitons que les États-Unis élisent plutôt une première femme : une femme d’origine noire et sud-asiatique, une femme de droit qui gravite les échelons de la sphère politique depuis 2016, une fille d’immigrants, une candidate qui met la santé reproductive des femmes au cœur de sa campagne. Parce qu’après tout, comme elle l’affirmait dans un discours aux Nations unies en mars 2021 : «The status of women is the status of democracy». Vous devinez de qui je parle?
[1] Pages 73 et 80. Chiffres de 2020.
[2] Page 58.
[3] Pages 11 et 54.
[4] Page 9.
[5] Pages 55 et 56.
- Auteurs : Noam Chomsky et Vijay Prashad
- Nombre de pages : 161
- Date de parution : 2024
- Éditeur : Lux Éditeur
- Nombre de mots : 683
Crédit photo: Kathryn Blanchette