Quelles sont les œuvres marquantes qui ont contribué à façonner la personne que vous êtes devenues? Par le prisme de quels auteurs phares avez-vous rencontré la vie, avez-vous tenté de comprendre le monde? Est-ce que ces heureuses rencontres sont le fruit d’un travail réalisé dans un cadre scolaire? Si je me fie à mon propre parcours étudiant, il m’aura fallu attendre l’entrée au Cégep pour être mise en contact avec quelques classiques de la littérature. J’en ai ingéré des livres insipides au secondaire, des œuvres qui ne méritaient, selon moi, aucune attention et surtout pas un accompagnement professoral pour mieux saisir l’essence de l’œuvre. Comment se fait-il, encore aujourd’hui, que les jeunes Rodriguez, Wang, Massamba, ONeil, Fortin, Khouri et autres ne soient pas obligatoirement mis en contact avec des œuvres riches communes? Au Québec, le choix des œuvres à l’étude appartient aux enseignants. Tant mieux pour nous (je suis enseignante de français au secondaire), mais force est de constater que certains élèves termineront leur parcours secondaire en n’ayant lu aucun classique et même parfois en ayant abordé deux fois la même œuvre durant leurs années d’études. Quelle aberration!
C’est à toutes ces réflexions et à plusieurs autres que nous convie Raphaël Arteau McNeil, professeur de philosophie au cégep Garneau et à l’Université Laval, dans son pertinent essai intitulé La perte et l’héritage : essai sur l’éducation par les grandes œuvres. Dans ce livre à contre-courant avec son époque, qui préfère la consommation rapide à la lente digestion, Arteau Mc Neil tend à prouver que l’éducation par les classiques permet de créer un bagage culturel riche et cohérent. L’essayiste s’en prend au passage à cette technicisation de l’éducation, à sa spécialisation qui oblitère complètement sa visée ultime : éduquer. Et pour l’auteur, l’éducation est une activité «qui consiste à réfléchir sur son expérience.» (p.40) Quoi de mieux que les grandes œuvres, celles qui ont résisté au passage du temps, qui sont reconnues comme des œuvres riches qui amènent invariablement une réflexion sur la condition humaine pour parvenir à «élargir la sphère de son expérience» (p.59). Selon l’essayiste, et il s’agit là, à mon avis, de l’essence même de son propos, les grandes œuvres «logent dans nos têtes et meublent notre imagination, elles moulent notre identité, orientent nos choix et nos aspirations et déterminent nos convictions les plus profondes, ce que nous estimons vrai et juste au sujet de nous-mêmes, des autres et de notre monde.» (p.61)
Il va sans dire que Raphaël Arteau McNeil n’aborde pas un sujet sexy, un sujet dont tout le monde parle. C’est justement pour cette raison que son essai est important parce qu’il nous permet de réfléchir différemment l’éducation alors que les sujets en vogue touchent davantage à l’intelligence artificielle, à la pleine conscience et à l’éducation inclusive. Il s’agit, d’une certaine façon, d’une œuvre de résistance comme le sont les classiques.
Auteur : Raphaël Arteau McNeil
Nombre de pages : 192
Date de parution : avril 2018
Éditeur : Boréal
Crédit photo : Karine Villeneuve