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Le désespoir des anges

*** coup de coeur ***

2000. Haïti, beaux quartiers, « bureau des patrons ». La narratrice, jeune domestique noire, est face à sa maîtresse. Elle répond aux questions de la « petite bourgeoise » en se demandant si elle va se faire licencier après avoir brisé quelques verres. Alors que l’entretien prend une tournure surprenante, la narratrice s’évade dans ses souvenirs. Dans les dernières années, elle a enchaîné succès scolaires, amour fou avec un chef de gang, violences, déchéance, rêves brisés, viols, prostitution. Survivre à n’importe quel prix, voilà le mot d’ordre dans les cités, alors que dans les rues les cochons dévorent les corps qui traînent et que les hommes s’entretuent pour le pouvoir. Mais voilà, il ne faut pas se mentir, le prix est terriblement élevé.

Je n’ai pas répliqué, mais je ne suis pas du tout d’accord. C’st moins le temps qui aide à vivre que l’habitude même de la vie. Le temps, il ne vient jamais à bout des choses. Bien au contraire! Il prolonge ta douleur, comme ces vers, tout en dedans, qui te rongent les entrailles, ces fièvres qui te minent de l’intérieur ou ces mauvais rêves dans lesquels tu te débats tout éveillé. Je sais cela d’expérience.
– p. 12

Le désespoir des anges est un roman coup-de-poing d’une grande franchise. À la fois terrifiant et grandiose, ce « portrait sans filtre d’un monde en ruines » se dévore autant pour l’histoire que pour le talent littéraire incroyable d’Henry Kénol, qui nous plonge avec force dans la complexité de la grande misère haïtienne au coeur des cités. On retient son souffle pendant tout le récit : la narratrice va-t-elle s’en sortir ? Et qu’est-ce que cela veut dire, après tant de violences, s’en sortir?

Ce magnifique roman est à la fois d’une grande violence et d’une immense sensibilité. Aucun voyeurisme, aucune fascination pour la douleur, mais plutôt un ton juste et foudroyant qui nous fait ressentir de l’intérieur la violence d’un pays qui a vécu le pire… et se relèvera.

TW : viols, violences.

→ « Henry Kenol est l’un des membres fondateurs de l’association l’Atelier du Jeudi Soir, dédiée à la création et à la diffusion la plus large possible de la littérature en Haïti. Les Éditions Atelier Jeudi Soir négocient ainsi avec des écrivains majeurs de la littérature haïtienne le droit de rééditer leurs ouvrages, publiés à l’étranger, à des prix abordables pour le lecteur haïtien. » (Texte issu du site des éditions Mémoire d’encrier)

  • Auteur : Henry Kénol
  • Maison d’édition : Mémoire d’encrier
  • Date de parution : 29 janvier 2025
  • Nombre de pages : 294

Crédit photo : Annick Lavogiez

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