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Fric-Frac – Parcours d’un billet de banque

Avec Fric-Frac – Parcours d’un billet de banque, la collection Griff frappe une fois de plus très fort. Les ouvrages de cette collection, qui s’adressent aux adolescents, portent sur des sujets de société comme la santé mentale, la disparition des femmes autochtones, la pollution des lacs, le destin des métaux rares dans nos cellulaires, ou encore l’exploitation de l’amiante au Québec… 

En l’occurrence, cet opus a pour thématique l’argent et sa circulation. À travers une galerie de seize personnages, on voit un billet de 50 dollars passer successivement d’un courtier à une itinérante, d’un dealer à une caissière, d’une agente immobilière à un joueur compulsif, d’un tatoueur à une vieille dame. C’est ainsi que, page après page, est dressé le tableau d’une société dépensière et consumériste, productiviste, inégalitaire, où l’argent revêt une importance très différente selon la position qu’on occupe dans l’échiquier social, où la valeur d’un simple billet a finalement quelque chose de très relatif. 

Auteur de polars, de nouvelles noires, mais aussi de nombreux livres pour la jeunesse (Le voleur de sandwichMoi c’est Tantale, À une minute près…), André Marois use de tout son talent d’ethnologue du quotidien pour brosser en quelques lignes des portraits de personnages saisissants de vérité, tantôt drôles, tantôt crus, tantôt émouvants. Mis bout à bout, ils forment les mailles d’un récit captivant, dont le protagoniste principal est ce fameux billet rouge qu’ils convoitent ou dilapident. D’une certaine façon, le texte démontre parfaitement comment toute une identité peut se résumer à la façon dont on pense et dépense son argent. 

Vicktor a menti. Il n’a pas faim. En vérité, il s’inquiète pour sa vieille mère qui vit seule, malade. Elle refuse de quitter son appartement. Elle dit que si elle va à l’hôpital, on ne la laissera pas repartir et elle ne veut pas mourir ailleurs que chez elle. Viktor la comprend mais l’état de sa mère se détériore. Avec son billet tout neuf, il achète dans un supermarché des pommes, un gros morceau de fromage, du pain au blé entier. La jeune caissière lui sourit. Elle aime les gens qui se nourrissent bien. 

– p. 8 

Bulle découvre le billet sur la table de la cuisine, près de son bol. Comme d’habitude, sa mère est déjà partie travailler. L’adolescente aime ce rose, c’est plutôt joyeux pour de l’argent. Elle se demande ce qu’elle va se payer avec. L’argent, c’est fait pour être dépensé. Les adultes sont obsédés par l’argent, et elle ne comprend pas pourquoi ils en désirent toujours plus. Elle peut se contenter de beaucoup moins qu’eux. Bulle ne veut pas posséder, mais changer le monde. 

– p. 15

On apprend beaucoup en lisant ce livre, qui constitue une excellente initiation aux « sciences économiques » : comment les richesses sont-elles concrètement produites? À quelles fins les biens et services sont-ils échangés ? Quelle place occupons-nous dans le système économique? Vus d’en haut, nos échanges sont une sorte de chaos organique, où l’on tire parti des autres tout en étant soi-même utilisé. Et l’ouvrage parvient à communiquer le vertige de ces successions indéfinies d’interactions libres entre des individualités qui ont leur monde propre, leurs rêves, leurs difficultés, leurs obsessions… 

On s’y instruit d’autant plus qu’ici et là, de petits encadrés nous éclairent judicieusement sur une multitude de notions complémentaires: la retraite, le salaire minimum, les paradis fiscaux, le système bancaire, les jeux d’argent, la durée de vie des billets de banque, leur origine… 

Pour parfaire le tout, les illustrations de Pauline Stive sont remarquables. Exécutées avec la même palette de couleurs que nos billets de banque, elles donnent vie aux personnages tout en apportant une touche poétique ou humoristique à leurs aventures. Sous les coups de crayon malicieux de l’illustratrice, on retrouve à la fois une grande attention au sens du propos, mais aussi un souci du détail, du jeu, qui enrichit le texte et lui répond avec intelligence et clin d’œil… Chaque double page s’impose comme un univers singulier dans lequel on est invité à plonger, le billet de 50 dollars faisant office de bâton de relais, de commutateur. 

En somme, Fric-Frac est hautement recommandable. Vous trouverez grand profit à lire ce livre avec vos jeunes : autant pour les nombreux sujets dont il vous permettra de discuter avec eux, que pour ce que vous pourrez vous-même y découvrir ! 

  • Auteur : André Marois 
  • Illustratrice : Pauline Stive 
  • Année de parution : 2020 
  • Éditions : Isatis 
  • Nombre de pages : 47 

Crédit photo : Joan Sénéchal

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