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Entrevue avec Abla Farhoud, auteure d’Au grand soleil cachez vos filles

Photo Auteure Au grand soleil Cachez vos filles

À l’occasion de la sortie de son plus récent roman Au grand soleil cachez vos filles, dont je vous ai déjà parlé ici , je me suis entretenue avec l’auteure Abla Farhoud dans son appartement du Mile-End.

Le livre raconte l’histoire d’une famille libanaise qui, après avoir passé une quinzaine d’années au Québec, retourne habiter dans son pays d’origine. Les aînés de la fratrie, âgés d’une vingtaine d’années, vivent un choc culturel. Ils s’y sentent étrangers et ne se reconnaissent aucunement dans les codes sociaux, les mœurs et la culture du Liban où les femmes sont soumises et ne peuvent s’émanciper.

Au grand soleil cachez vos filles est la suite du précédent roman d’Abla Farhoud, Toutes celles que j’étais, mais il peut également être lu indépendamment. On reconnaît la même famille libanaise qui, dans Toutes celles que j’étais, quittait le Liban afin de s’établir au Québec. L’auteure avait alors donné aux personnages les vrais noms des membres de sa famille et on y suivait l’histoire d’Abla (Aablè dans le roman) âgée de cinq à vingt ans. L’histoire se terminait alors que la famille s’apprêtait à retourner habiter au Liban. C’est un livre qui est assez proche de la réalité, moins romancé que le suivant, dans lequel les noms ont été changés.

Dans le cas d’Au grand soleil cachez vos filles, le roman est inspiré de sa vie, mais il comporte beaucoup plus de fiction. L’auteure s’est concentrée sur la période allant de 1965 à 1969, années qu’elle a vécues au Liban, et les personnages sont aussi inspirés des membres de sa famille, mais pour la suite elle a inventé, leur a fait vivre des situations qui n’ont pas nécessairement eu lieu. Le vrai récit était trop personnel et lui rappelait des souvenirs trop pénibles. Elle n’hésite pas à le dire, ces quatre années au Liban ont été les pires de toute sa vie. Il aurait été difficile pour elle de garder les mêmes noms en racontant des faits qui auraient pu perturber ses frères et sœurs.

C’est aussi pour ces raisons qu’elle a décidé d’écrire un roman avec plusieurs narrateurs. De l’avis de l’auteure, le plus important dans l’écriture de ce livre a été de trouver le fil conducteur : donner la voix à quatre membres d’une même famille qui, tour à tour, nous font part de leurs réflexions et racontent leur expérience. S’il avait fallu qu’elle n’écrive qu’en son nom, elle n’y serait pas parvenue car il aurait été trop douloureux pour elle de relater ce qu’elle a vécu au Liban. Avec cette structure narrative, il était désormais possible de narrer, de présenter plusieurs points de vue, d’inventer.

Le titre, Au grand soleil cachez vos filles, est fort, percutant. Il est intrigant, et contient l’essence du livre. Selon Abla Farhoud, ce titre reflète bien le contraste qu’est le Liban. Il y fait chaud et les filles de la famille n’y étaient pas couvertes de la tête aux pieds ni ne portaient de foulard. Elles s’habillaient en vêtements courts, allaient se baigner. La façon dont on cachait les filles était beaucoup plus subtile. Dans ce pays, dont elles découvraient petit à petit les mœurs et les codes sociaux, on empêchait les filles de se vouer aux mêmes activités que les garçons. On ne leur donnait pas les mêmes droits et on leur imposait une manière de se comporter qui leur semblait injuste. Les jeunes hommes étaient également coincés dans ce schéma social où l’honneur de la famille primait sur les libertés individuelles des filles mais aussi des garçons.

Le choc culturel d’Abla Farhoud et de ses frères et sœurs à leur retour au Liban a été d’autant plus grand car leurs parents ne les avaient pas préparés à ces changements de mœurs. Leur père souhaitait tellement retourner s’établir au Liban qu’il embellissait le pays aux yeux de ses enfants et qu’il n’avait pas jugé important de les avertir à l’avance des différences entre les sociétés québécoise et libanaise. Farhoud croit que s’il leur avait dit la vérité, les aînés n’auraient pas accepté de suivre la famille et seraient restés au Québec. Le retour dans sa patrie en 1965 a été sans aucun doute beaucoup plus difficile pour elle que son arrivée au Québec à l’âge de six ans en 1951. « Une fois que tu pars de ton pays natal quand tu es jeune, tu es fait. Même si tu y reviens, tu seras changé à jamais, tu ne seras plus conforme », a-t-elle expliqué.

Abla Farhoud s’est établie au Québec il y a une quarantaine d’années. C’est ici qu’elle a décidé de vivre, d’élever ses enfants et c’est ici qu’elle se sent chez elle. Au grand soleil cachez vos filles se termine avec le départ d’Ikram pour Paris. Alors que l’on met fin à notre rencontre, Abla évoque la possibilité d’écrire un troisième livre, une suite, qui porterait cette fois sur ses années passées à Paris au début des années 1970. J’attendrai la sortie de ce livre avec impatience !

 

  • Auteure : Abla Farhoud
  • Éditeur : VLB
  • Date de parution : 26 avril 2017
  • Nombre de pages : 304 pages
  • ISBN : 9782896497416

Crédit photo : Jeanne Lavictoire

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