« Exit West » est un roman de 229 pages du talentueux auteur Britanno-Pakistanais Mohsin Hamid, publié chez Riverhead Books, en 2016.
Cet ouvrage a atterri sur ma table de travail alors que je devais préparer une chronique pour l’émission Plus on est de fous plus on lit. Il est rare que j’y recense des romans. L’exercice était donc inusité pour moi et je n’étais pas certaine du résultat. Mais pour sauter directement à la conclusion : j’ai adoré cet ouvrage dont le tempo varie comme celui d’une symphonie et emmène le lecteur d’une petite ville du Moyen-Orient bercé par le chant du Muezzin et une belle romance à un bidonville en surplomb d’une ville américaine de la côte Ouest.
L’histoire de Saeed et Nadia commence dans une ville qui pourrait être Lahore, ou Amman, ou Alep. C’est celle de deux jeunes adultes, dont les destins se croisent et qui, dans le rythme lent d’une vieille ville moyen-orientale vont se découvrir, transcender certains interdits et vivre « leur » histoire. Jusqu’à ce que le rythme change : les « insurgés » sont aux portes de la ville, la ville si paisible se met à gronder. La peur s’installe. Doucement. Lentement. Nadia emménage chez Saeed et ses parents. Puis alors que la tension monte jusqu’à devenir insupportable lorsque le gouvernement perd le contrôle de la ville, le rythme s’accélère. Ils prennent une décision. La décision. Celle de partir vers l’Ouest, en prenant une des portes de sortie.
Ces portes sont une métaphore présentée sous forme de battants rotatifs, une ouverture sur un autre monde, et devant lesquelles le temps d’attente est long, où le tempo ralentit, tandis que tout s’accélère lorsqu’on les franchit. Du trajet on ne saura rien, on ne connaît que les points de chute. La Grèce. L’Europe. L’Amérique.
Et petit à petit la saga dystopique de Hamid se met en place, plus sombre, plus dure, plus fictionnelle aussi. Des déchirements de l’immigration, aux doutes et aux trajectoires personnelles différentes des immigrés, en passant par l’encampement du monde (pour reprendre les termes de Michel Agier) et l’hyper-sécuritaire des sociétés occidentales contemporaines, on voit comment petit à petit les « Expulsés » de la sociologue Saskia Sassen sont projetés hors de la société à laquelle ils appartiennent désormais. Au fur et à mesure du roman, le tempo varie, en harmonie avec les moments anxiogènes et les instants de félicité, ces derniers de plus en plus rares alors que l’on tourne les pages. Ces deux jeunes amoureux acquièrent une maturité au terme du roman, que le lecteur s’approprie aisément. À la fin, assis sur une colline de bidonvilles qui dominent le Pacifique, Saheed et Nadia sont deux adultes, en paix, avec eux-mêmes, avec leurs choix, avec leur vie qu’ils ne voyaient pas ainsi. Et le lecteur demeure, seul, face à l’immensité de l’Océan, et l’abyme qu’a ouvert cette saga migratoire, trop réelle en un sens pour ne pas y lire celle de ces millions d’expulsés qui aujourd’hui prennent le chemin de l’exil. Vers l’Ouest.
Crédit Photo: Élisabeth Vallet