« C’est silencieux, un corps qui part. »
– p. 45
Nora apprend au détour d’une conversation familiale que sa grand-mère a vécu en Algérie dans les années 60. Au-delà d’une photo retrouvée qui évoque un passé lointain, Nora se questionne : pourquoi cette histoire n’a-t-elle pas été transmise au fil des générations ? Avec son frère Théo, comédien, elle part à la rencontre de ce qu’elle estime être son histoire. Déboussolée, inconsolable, perdue, Nora s’interroge sur son identité : comment se construire et se réparer sur une absence ? La tristesse se transmet-elle comme la colère, de tabous en tabous ? Et comment s’intéresser à son histoire sans négliger les vivants ?
« On ne peut pas être triste juste comme ça, par nature. Alors on réfléchit, on réfléchit, on cherche dans les livres, mais on n’y trouve que les mots des autres et les mots des autres, c’est joli un temps, ça aide un temps, mais quand on éteint la lumière et qu’on se retrouve avec soi, la petite minute avant le sommeil, qu’on se retrouve incroyablement vide, là, comme des connes, dans nos lits, eh ben la petite minute, c’est l’éternité, et les mots des autres, ils peuvent plus rien pour toi. On peut pas être triste juste comme ça, c’est pas possible. »
– p. 17-18
La femme de nulle part est un magnifique texte d’Anna Sanchez qui interroge habilement les thèmes de l’identité, de la famille et de l’héritage sous couvert du colonialisme et plus particulièrement des relations franco-algériennes. Le texte m’a beaucoup secoué. Plusieurs tirades des personnages m’ont complètement renversé, tellement la langue d’Anna Sanchez est puissante, ancrée dans le réel. Le personnage de Nora, qui cherche en vain sa place dans le monde, fait réfléchir en profondeur aux histoires qui nous construisent, tout en interrogeant subtilement la légitimité des générations à forcer le partage des récits familiaux douloureux. Face à un père enfermé dans le silence de ses émotions, un frère désillusionné et une grand-mère envahie de colère, la force de Nora sera de persévérer pour réparer les absences.
« C’est troublant la mémoire du corps. Plus il s’éloigne de ce qu’il quitte, plus il devient ce qu’il a quitté. La peau devient les caresses. Les muscles deviennent les longues balades ou les courses effrénées. L’oreille, une musique, peut-être. La musique, ça s’accroche. Et c’est là, dans chaque pas, chaque respiration. Ce que ça exige du corps, se souvenir… C’est troublant au début. On nous apprend pas ça à l’école. On nous apprend pas que l’absence peut devenir un organe. Situé entre le foi et les reins, c’est un organe en constante expansion. Ce matin-là qui ne sera plus jamais le même. Cette odeur qui ne reviendra pas. Ce visage que tu ne croiseras plus. La tarte que cuisinait ta grand-mère. Un oiseau de passage. Une forêt qui a brûlé. Un drôle d’accent. Une mimique. Et les jours qui passent et disparaissent pour toujours : le 12 octobre 1956, le 24 juillet 2006, le 3 avril et puis le 4, le 5, et le 6. Il faut savoir dire au revoir à tous ces jours-là. On nous dit pas qu’en fait, on perd tout, tout le temps. »
– p. 113
La pièce passe jusqu’au 12 avril au théâtre Denise Pelletier, précipitez-vous !
- Texte : Anna Sanchez
- Maison d’édition : HAMAC
- Date de parution : 18 mars 2025
- Nombre de pages : 152
Crédit photo : Annick Lavogiez
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