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Pompières et pyromanes

Ne pas se retourner quand on fuit un incendie. Ne pas se laisser sidérer par la vue des flammes. Ne pas se laisser happer par le charme de ce qui brûle. On pourrait dire la même chose de la défense des causes qui nous tiennent à coeur et des gens qu’on aime. Comment faire autrement? Comment aimer et comment lutter sinon en se laissant hypnotiser, juste assez?

– p. 111-112

Le feu fait partie de nous, de notre quotidien. Métaphore symbolique ou danger concret. Peur de l’incendie. Suicide par immolation des militant.e.s. Feux de forêts. Flamme qui nous pousse à combattre. Flèche enflammée de Cupidon qui nous éveille à l’amour. Cheminées des camps de concentration. Autodafés. Bombes. Le feu est partout.

Avec intelligence et talent, Martine Delvaux nous propose avec Pompières et pyromanes un essai-confession sur le réchauffement climatique autour du thème du feu. Mais ce n’est pas que ça. C’est aussi un livre sur la mort et la vie. Une réflexion tendue sur nos résistances et l’insatiable besoin de se battre, de croire qu’on peut encore changer le cours de l’histoire, que chaque action est politique, qu’on doit, peut-être, mettre le feu à nos idées pour les faire renaitre et les faire briller. Citant F. Scott Fitzgerald, l’autrice réfléchit la tension entre savoir que la fin du monde est irrévocable et résister jusqu’à la dernière minute pour changer le cours de l’histoire. Le déchirement entre donner la vie et soumettre son enfant à ce triste monde quotidiennement détruit.

Et comme toujours, en filigrane, omniprésente, la violence des hommes blancs, ceux qui vomissent Greta Thunberg et bousculent les femmes, ces pompiers pyromanes qui foutent le feu pour devenir sauveurs, ceux qui n’écoutent pas les cris des jeunes qui réclament un avenir.

Les lucioles sont en voie d’extinction, non seulement à cause des pesticides, mais à cause de la lumière, cette pollution des vies humaines, lampadaires et fenêtres allumées contre lesquels la mouche à feu se frotte comme s’il s’agissait de partenaires. C’est ainsi qu’elles perdent le peu de temps qu’elles ont pour se reproduire au cours de leur courte vie. Georges Didi-Huberman voit dans les lucioles une figure de la résistance: il faut se donner les moyens d’attraper ce qui clignote malgré tout et illumine la pensée. Il faut avoir du courage et de la poésie pour fracturer le langage, briser les apparences, désassembler l’unité du temps.

– p. 108

Pompières et pyromanes est à la hauteur des ouvrages passés de Delvaux : percutant, bouleversant. Il se lit comme une conversation intime au cours de laquelle on apprend autant d’anecdotes que de mythes. Et surtout, on en ressort avec plein de questions et une rageuse envie de mettre le feu aux systèmes.


*** Lire aussi l’article de Valérie Ouellet sur Pompières et pyromanes. ***


  • Autrice : Martine Delvaux
  • Maison d’édition : Heliotrope
  • Nombre de page : 181
  • Parution : 2021

Crédit photo : Annick Lavogiez

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