Littérature québécoise Société

Ne pas oublier d’oublier

Un présent infini

Rafaële Germain, journaliste, scénariste et auteure, est une femme de mots et d’idées dont je suis le parcours professionnel avec vif intérêt depuis plusieurs années. J’ai tenté de lire un de ses romans chick lit, moi qui abhorre ce genre littéraire (c’est mon petit côté enseignante de français snobinarde), parce que justement j’appréciais ses différentes prises de parole dans la sphère publique. Ce serait un euphémisme d’affirmer que je n’avais pas aimé ma lecture. Était-ce le genre trop sucré ou la plume romanesque de cette auteure, moi qui l’avais surtout lue dans les journaux ou écoutée à la télévision dans Bazzo, qui ne me plaisait pas? Je n’aurais su le dire. J’ai donc amorcé son court essai affublé du joli titre Un présent infini avec une certaine appréhension. Quelques pages ont suffi à me charmer et à me convaincre de plonger dans cette lecture qui allait être le déclencheur d’une réflexion éclairante sur la mémoire et l’oubli.

L’adage stipulant que la mémoire est une faculté qui oublie est au cœur de la démarche réflexive de l’auteure. Il y a effectivement quelque chose d’infiniment beau dans la capacité d’oublier et dans celle de faire revivre des souvenirs par le mécanisme de la mémoire. Or, avec l’avènement d’Internet, et plus récemment des réseaux sociaux, il n’est plus possible d’oublier. Comment expliquer alors que notre mémoire collective semble s’éroder? Tout un chacun s’affiche ostensiblement sur les réseaux sociaux afin de ne pas sombrer dans l’oubli, mais cette surabondance d’images et d’informations prémâchées que nous y retrouvons nous amène invariablement à accumuler moult informations sans prendre le temps de creuser un sujet. Même les critiques de livres dans La Presse ressemblent désormais à s’y méprendre à des tweets.

Rafaële Germain s’adresse à plusieurs moments à son père, Georges-Hébert Germain, biographe reconnu, pour qui la mise à nue de la mémoire des autres était un réel travail. La vie, et toute son ironie, a fait en sorte que la mémoire de ce père tant aimé s’est éteinte lentement. L’auteure retrace des souvenirs partagés avec lui, des moments intimes, de ceux qui vivent à l’intérieur de nous et qui ne peuvent pas s’exposer sur les réseaux sociaux parce qu’ils ont l’avantage d’être authentiques. On se sait observé sur Facebook (et c’est ce qu’on souhaite à coup de Like), mais il va de soi que l’on ne présente que ce que l’on veut qui soit vu. Et on finit malheureusement par croire à cette image présentée. Comment être véritablement soi-même dans cette course à la reconnaissance? Rafaële Germain en arrive au constat que nous ne sommes plus très libres, enchaînés par toutes ces images projetées et par ce présent infini.

  • Auteur : Rafaële Germain
  • Nombre de pages : 89
  • Date de parution : novembre 2016
  • Éditeur : ATELIER 10
  • Provenance du livre : Service de presse

Un présent infini.jpeg – crédit photo : Karine Villeneuve

 

 

 

 

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