Un vieil homme vivant sur une île déserte brossée par les vents froids de l’hiver suédois. Une chienne, une chatte, une fourmilière, un vieux casse-tête recommencé sans cesse et jamais terminé, des magazines jaunis par les années, des habitudes coriaces, un facteur qui représente le seul intermédiaire avec le monde, des rochers et des ruisseaux qui dessinent les formes de cette réalité qui cherche à se soustraire aux obligations du temps, des hommes, du passé qui hante.
Ce vieil homme, Fredrik Welin, commence un voyage à rebours dans sa vie après la visite impromptue de son premier amour, et s’embarque sans conviction dans ce qui ressemble à une deuxième chance. Il est parachuté dans la réalité présente où survivent encore les monstres refoulés du passé et où jaillissent leurs actuels rebuts. Avec son regard à la fois innocent et endurci par l’âge, ses états d’esprit s’étalent sous nos yeux de plus en plus voraces de ces reflux d’anciennes et de nouvelles émotions. Fredrik, dont le caractère est figé sur papier dès les premières pages, est un personnage évolutif, émouvant pour son humanité sans retenue, fautif et à la fois sensible à ses fautes, d’une délicieuse ironie et d’un désenchantement désarmant.
Les personnages féminins qu’il rencontre sur son chemin reflètent aussi cette heureuse imperfection de hors norme et hors société. Toutes, à leur façon, imposent autour d’elles un monde qui émane de leurs lubies, de leurs craintes et de leurs blessures. Seules contre la vie, seules en plein milieu de la forêt ou seules en plein milieu d’une petite communauté adverse, elles se dressent avec hostilité à la défense de leurs idéaux (ou de leurs obsessions) et finissent par s’attacher à Fredrik à contrecœur, presqu’en trébuchant dans son existence sans dessein.
Les premières pages vous happent par le cynisme subtil d’un homme qui croyait ne plus avoir rien à attendre de la vie. On aperçoit le sourire en coin de l’auteur, Henning Mankell, quand il nous décrit les gestes quotidiens de son Fredrik, ses humeurs, ses habitudes, son aigreur parsemée tantôt d’intelligence, tantôt de naïveté.
C’est un de ces romans qu’on ne peut pas laisser traîner sur la table de chevet. C’est un bonheur qu’on retrouve dans chaque page, qu’on tourne avec cette appréhension qui accompagne certains de nos meilleurs livres : celle d’atteindre la dernière. D’une plume à la fois légère et précise, directe et riche de tendresse, Les chaussures italiennes est sans aucun doute parmi mes plus belles découvertes littéraires des dernières années.
- Auteur: Henning Mankell
- Éditeur: Éditions du Seuil
- Date de partution : 2009
- Nombre de pages : 373 pages
Crédit photo : Camilla Sironi