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Ce que je sais de toi

***méga coup de cœur*** 

En Égypte, dans les années 1960, un père demande à son fils ce qu’il veut devenir plus tard: ingénieur ou médecin, le fils ne sachant pas ce qu’est un ingénieur, répondra médecin comme son père. Ça y est, il le sent, le mektoub est scellé. Pour Tarek, le fils, tout est décidé d’avance.  

Il fera donc ses études en médecine comme prévu, travaillera à la clinique de son père, au rez-de-chaussée de leur imposante villa au Caire, mais il se permet un écart: ouvrir un dispensaire dans le Moqattam pour soigner les pauvres qui y vivent. 

Il apprend à aimer cette double vie avec les patients riches du Caire et ceux qui ont besoin de lui dans le Moqattam près du dépotoir. Sa vie est bien remplie, il travaille dur, s’occupe aussi de sa femme, Mira, parle avec sa sœur Nesrine. Il s’occupera aussi de sa mère lorsque son père rendra l’âme. 

Puis, un jour, au dispensaire, un jeune homme l’attend pour l’amener à sa mère malade. Il s’agit d’Ali. Malheureusement, pour sa mère, Tarek ne peut rien. Elle a la maladie dégénérative de Hungtinton. Il n’y a rien à faire du point de vue médical, mais Tarek s’attache au fils et à la mère et s’y rend souvent. À la mort de celle-ci, il promet de s’occuper d’Ali, qu’il forme pour l’assister au cabinet et au dispensaire. Tarek apprendra qu’Ali se prostitue pour vivre, d’ailleurs certains clients commencent à la reconnaitre et les rumeurs montent, mais Tarek refuse de s’en débarrasser.  

Un soir, alors que Tarek va reconduire Ali chez lui, ils s’embrassent et c’est le début d’une grande histoire d’amour. Au début, ils se cachent, puis de moins en moins. En conséquence, les clients ne viennent plus voir Tarek à la clinique et bientôt, il est victime de vandalisme.  

Dans l’Égypte des années 1980, il est impossible d’être homosexuel et de continuer à vivre normalement. De toute façon, la mère et la sœur de Tarek commencent aussi à subir les rumeurs et leur honneur est salie. Puis, un drame survient: Ali meurt noyé. Du moins, c’est ce que Tarek apprend. Il ne peut pas supporter la mort de son amant et décide simplement de tout quitter pour Montréal.  

Une vie solitaire débutera pour Tarek, complètement isolé. Il refait tous ses cours pour redevenir médecin au Canada. Il se spécialisera pour la maladie d’Hungtinton. Ce que Tarek ignore c’est que Mira, sa femme, était enceinte, à son départ. Elle aura un fils, Rafik. Celui-ci sera élevé sans père, sans qu’on ne prononce jamais son nom, mais il réussira à connaître des bribes de son histoire grâce à Fatheya, la bonne de la famille depuis toujours. Il tentera de recomposer l’histoire de son père, cet exilé banni de la famille et du Caire:  

Je cesse à présent d’écrire ta vie, parce que les mots ne peuvent pas tout.  Ils ne peuvent pas ramener de la mort ceux qui nous ont quitté, ils ne peuvent pas guérir les malades ou résoudre les injustices, tout comme il est absurde de prétendre qu’ils déclarent des guerres ou y mettent fin. Dans un cas comme dans l’autre, ils ne sont au mieux qu’un symptôme, au pire un prétexte. Je cesse d’écrire ta vie parce qu’elle ne m’appartient pas, parce qu’elle ne résulte que d’un alliage improbable entre ta malchance et tes mauvaises décisions, parce que le dernier des malheureux n’en voudrait pas, parce qu’on ne peut pas combler une absence par des phrases. Je cesse d’écrire ta vie parce qu’elle a malmenée par trop de mensonges pour que j’y ajoute, même de bonne foi, les miens. Je cesse d’écrire ta vie parce que j’ai besoin que tu me la racontes, parce que je n’en veux plus aucune autre version. 

– p. 267

J’ai tout aimé de ce livre, l’histoire, la sensibilité, l’intrigue, la différente perspective de chaque personnage, on peut compatir avec chacun d’entre eux. Quelle plume que celle d’Éric Chacour! Savoir que cet homme travaille dans le secteur financier mais qu’il a pu écrire un tel livre pendant la pandémie, me fait apprécier un peu plus le coronavirus. Sans blague, voici un premier roman qui gagnera tous les prix, j’en suis certaine. Éric Chacour a une compréhension de la nature humaine unique et une écriture sensible que j’espère relire très bientôt. Garochez-vous pour lire cette œuvre sublime! 

  • Auteur: Éric Chacour 
  • Maison d’éditions: Alto 
  • Parution: 23 janvier 2023 

Crédit photo: Valérie Ouellet 

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