Pour être avec quelqu’un, pour faire du couple, il faut sans doute être là soi-même ; je ne sais pas si mon existence est avérée.
– p. 142
Dans le quartier historique de Québec, entre les touristes, le bonhomme Carnaval et les festivités du 400e, le narrateur du roman Les crapauds sourds de Berlin de Simon Lambert erre et traine son marasme existentiel. La ville, défigurée par d’interminables travaux, fait écho à son âme ratatinée de pornographie et de surconsommation de corps féminins. À travers les bars de la capitale et en revisitant des souvenirs de l’Europe, le jeune homme expose ses rencontres et interactions… et toute la violence de ses désirs d’hétérosexuel.
Le X. Juste ça : une lettre, pour rappeler que ça existe même si personne en parle, point de suture sur ma peau autrement entrouverte qui indique une culpabilité évidente. Je serais prêt à témoigner à Nuremberg 2.0, au jury je ferais valoir que c’est pas ma faute, que la ville tient bon à cause de cette unique lettre peut-être, ça pis le café; la fantaisie me vient parfois de dessiner mon angoisse à grands coups de poing dans la céramique de la salle de bain au-dessus de la bol où finit invariablement ma force de vie…
– p. 167
Dans un style dense et une langue analytique presque angoissante, Simon Lambert balade son lectorat entre le Québec d’aujourd’hui (ou du futur?) et l’Europe d’hier. À travers la vision de l’histoire de Francis Fukuyama dans La fin de l’histoire et le dernier homme, l’auteur se questionne sur la capacité des humains à créer du lien.
C’est le rêve d’adolescent qu’on a tous fait, ça parlait de courage. On voyait les plus vieux prendre leur place et on raillait leurs tics, leurs soirées costumées dans les restos à cent piastres et la vie qui se case, le bon temps, l’image d’une fin acceptable. On l’a tous souhaité, je fais ce pari-là : on voulait être libres, appartenir pas à ce monde-là, tout sauf ça. À un moment le passé nous a tous laissés au même endroit, oui, à ressentir l’exacte même inquiétude devant l’avenir à faire. Dans les salles de classe y avait les gothiques, certains punks pour toujours ou anarchistes, d’Autres ont nourri en silence leur mépris pour les casés. On a tous eu un moment où on s’est dit qu’on serait pas comme les autres, pas nous. Qu’on s’écraserait pas, qu’on trouverait une issue. Mais est-ce qu’on sait comment ?
– p. 152
Un livre intense, parfois difficile à suivre et dans lequel j’ai eu du mal à rentrer, mais qui bouleverse, travaille, force une réflexion et un regard critique sur soi-même. Un livre de son temps, une profonde réflexion sur les relations humaines et ses moments de perdition.
- Titre : Les crapauds sourds de Berlin
- Auteur : Simon Lambert
- Nombre de pages : 437 pages
- Date de parution : 2020
- Édition : Hamac
Crédit photo : Annick Lavogiez