Dans un pénitencier de la France sous l’occupation allemande, le détenu Jean Genet accroche au mur de sa cellule des photos de criminels découpées dans le journal. La nuit, il leur imagine une vie différente. C’est ainsi que prennent forme Divine, travestie* et prostituée, Mignon, son proxénète et amant, et Notre-Dame-des-Fleurs, assassin adolescent.
Dans le Montmartre des années 1930, ces personnages vivent, à la manière de héros tragiques, des histoires d’amour déchirantes, des crimes terribles et des destins funestes. Deux trames narratives s’enchevêtrent : l’histoire d’un détenu dans l’attente angoissée de son verdict de condamnation et celle de ces jeunes ostracisés en quête de réussite, d’appartenance, mais surtout, de tendresse. Après tant de détours, on en vient à réaliser qu’en fin de compte, ce détenu, par l’intermédiaire de son histoire inventée, raconte son propre tumulte intérieur. La limite entre fiction et non-fiction est poreuse. On en vient à se poser la question : ces deux récits emboîtés sont-ils autobiographiques, ou bien le narrateur est-il lui aussi un personnage né de l’écriture, un autre alter ego de l’écrivain?
Ce premier roman de Jean Genet frappe par son avant-gardisme : parler des milieux queer, avant même l’invention du terme, est risqué à une époque où, en France, l’homosexualité est considérée comme un crime. Malgré tout, Genet peint un portrait sans censure de ses personnages issus de l’univers des « tantes » montmartroises – travestis, homosexuels, prostituées et autres exclus de la société. Ils sont imparfaits, torturés, parfois, par des émotions débordantes, mais ils sont décrits comme des idoles saintes. C’est précisément leur humanité qui est d’une beauté céleste digne d’adoration.
La lecture de Notre-Dame-des-Fleurs peut s’avérer un défi. Il n’y a aucun chapitre et peu de sauts de paragraphes, et, parfois, la limite entre les deux différentes histoires est imprécise. C’est que le texte suit le fil des pensées du narrateur, si bien qu’on a l’impression d’assister à l’écriture du roman qu’on lit. On se retrouve devant un texte dense, parfois opaque. Si on accepte de se prêter au jeu, cependant on en vient à apprécier l’écriture de Genet, qui trouve beauté et poésie là où l’on s’y attend le moins.
*Je reprends ici le terme employé dans le roman, écrit dans les années 1940, alors que le terme « transgenre » n’avait pas été créé.
- Auteur : Jean Genet
- Nombre de pages : 376
- Date de parution : 1976 (1943 pour la première édition)
- Éditeur : Gallimard (collection Folio)
Crédit photo : Laurence Gagnon