Littérature étrangère

Le liseur du 6h27

liseur

Au hasard des pages

Certains naissent sourds, muets ou aveugles. D’autres poussent leur premier cri affublés d’un strabisme disgracieux, d’un bec de lièvre ou d’une vilaine tache de vin au milieu de la figure. Il arrive que d’autres encore viennent au monde avec un pied bot, voire un membre déjà mort avant même d’avoir vécu. Guylain Vignolles, lui, était entré dans la vie avec pour tout fardeau la contrepèterie malheureuse qu’offrait le mariage de son patronyme avec son prénom: Vilain Guignol, un mauvais jeu de mots qui avait retenti à ses oreilles dès ses premiers pas dans l’existence pour ne plus le quitter. (Le liseur du 6h27, p.1)

C’est avec ces mots que commence le délicieux roman de Jean-Paul Didierlaurent, Le liseur du 6h27 (édition originale Au diable Vauvert, 2014, réédition Folio, 2017), petit livre sans prétention qui se dévore avec grand plaisir en quelques heures. Le liseur, c’est Guylain, jeune homme sympathique, sans charisme évident, qui vogue dans une vie routinière avec discrétion et douceur. Travailleur honnête dans une usine de pâte à papier, démolissant des milliers de livres à la minute, il s’assit tous les matins sur le même strapontin du RER, et sort d’une pochette des pages de livres qu’il lit à qui veut bien l’écouter. Sans passion ni théâtralité, sans commentaire, sans autre contact que celui de la lecture publique, il lit des pages sauvées in-extremis et au hasard de la Zerstor 500, « la Chose », la machine destructrice de l’usine. Sans se soucier de son public, ni de l’intérêt de son geste. Et autour de lui, les oreilles attentives se multiplient.

Tandis que le jour naissant venait s’écraser sur les vitres embuées, le texte s’écoulait de sa bouche en un long filet de syllabes, entrecoupé çà et là de silences dans lesquels s’engouffrait le bruit du train en marche. Pour tous les voyageurs présents dans la rame, il était le liseur, ce type étrange qui, tous les jours de la semaine, parcourait à haute et intelligible voix les quelques pages tirées de sa serviette. Il s’agissait de fragments de livres sans aucun rapport les uns avec les autres. Un extrait de recette de cuisine pouvait côtoyer la page 48 du dernier Goncourt, un paragraphe de roman policier succéder à une page de livre d’histoire. Peu importait le fond pour Guylain. Seul l’acte de lire revêtait de l’importance à ses yeux. Il débitait les textes avec une même application acharnée. Et à chaque fois, la magie opérait. Les mots en quittant ses lèvres emportaient avec eux un peu de cet écœurement qui l’étouffait à l’approche de l’usine. (Le liseur du 6h27, p.16)

De son côté, Julie est dame pipi dans un centre commercial. Elle observe, commente, documente et compile nombre d’anecdotes de son quotidien, tout en attendant patiemment l’âme sœur. Avec humour et persévérance, elle écoute les bruits inopinés de ses multiples visiteurs, et, entre deux nettoyages de cuvette, confie sur des grilles de mots croisés ses rêves et pensées.

Un jour, Guylain trouve la clé USB avec tous les textes de Julie. Au-delà des mots, ils vont se rencontrer. Et croiser en chemin nombre de personnages aussi hauts en couleurs qu’attachants.

N’est-ce pas magique de faire de cet endroit si triste et si gris qu’est le pilon le lieu même de l’amour de la lecture, des rencontres inattendues, d’amitiés tendres et touchantes, ancrées dans une profonde solidarité, le lieu même de la renaissance des mots? Et que dire des toilettes publiques, si rarement mises en scène en littérature et dont on ne fait généralement pas grand-cas? Personne ne s’attend à croiser le Prince charmant au détour d’une chasse d’eau.

Et pourtant!

Avec Liseur de 6h27, Jean-Paul Didierlaurent nous offre avec délicatesse et humour un petit conte de fée moderne, un véritable hommage à la beauté de l’être humain et à l’inattendu de la vie. Chaque personnage renverse à sa façon notre vision pressée du monde. Ils sortent de leurs routines pour rêver à d’autres imaginaires, à une vie de livres et de papier, et, par la bande, nous poussent à rêver. Le résultat est tout doux, rempli de bonne humeur et d’humanité.

Informations :

Reçu en cadeau.

  • Auteur : Jean-Paul Didierlaurent
  • Éditeur : Folio
  • Pages : 208 pages
  • Date de Sortie : réédition 2017

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