Littérature québécoise

PIVOT

PIVOT

Hadrien Jalbert, alias Pivot, rentre et sort de l’hôpital psychiatrique depuis près de 20 ans. Il a vu des générations de patients, plusieurs Jésus, et des hommes et des femmes qui ont réussi à convaincre leur psychiatre de les réintégrer à la société. Doté d’un regard à la fois cynique et conscient de la maladie mentale (des autres) ainsi que d’une grande éloquence, Pivot passe les journées avec les patients de l’unité psychiatrique de l’hôpital Sainte-Marie, à Montréal, en comptant les minutes qui s’écoulent lentement dans ces couloirs gris, et en attendant les petits événements qui battent la mesure avec régularité militaire – la prise de médicament, les repas, les pauses cigarette, les heures de repos.

Les conversations avec ses voisins de misère (le Chat de ruelle, Jésus, Jonathan Livingstone), parfois absurdes, parfois noires, parfois carrément hilarantes, remplissent leurs journées monotones dans ce monde habité par des infirmières, des médecins et bien des personnages imaginaires. Pour ces malades, l’esprit se met au service d’un profond besoin de comprendre et de pardonner les tragédies qui ont marqué leur vie ou de les annihiler à jamais, en créant un monde qui a plus de sens, qui fait moins mal. Pivot, par exemple, se considère injustement interné, proie impuissante des manigances du « Système » qui veut contrôler les gens par l’hypnose ou l’injection de venin, afin de les obliger à agir dans son intérêt.

L’histoire est riche en soubresauts et en révélations, chaque page coule littéralement dans la suivante, guidée par une plume légère et soignée. C’est un roman qui baigne dans l’humour, la tendresse et la prise de conscience et qui essaye de dévoiler, sans complaisance, la vie de la maladie mentale vue par quelqu’un qui la fréquente au jour le jour. L’auteure, la québécoise Dre Marie-Ève Cotton, psychiatre de profession, présente les faits quotidiens simples vécus avec grand sérieux par les internés. Elle relate les drames, la lucidité, la fuite, l’humanité de ces malades qui doivent composer avec la peur, l’infantilisation et l’évitement des autres. Et ce, alors que dans les mêmes enceintes de l’hôpital, à quelques pas seulement, les malades du corps, eux, font plutôt l’objet de compassion et de solidarité.

Forte de ses nombreuses années de travail avec les Inuits, l’auteure s’inspire des expériences qu’elle a vécues pour la narration de la belle Mary, elle-même Inuite, dont la jeunesse a été marquée par de macabres événements et dont Pivot tombe verticalement en amour. Ce personnage lui permet de mener une courte mais poignante immersion dans les drames profonds qui secouent d’innombrables familles vivant dans les réserves, et dont les médias relatent de temps à autre les faits.

Dans ce premier roman, l’auteure semble vouloir se départir du ton grave qui cache souvent la gêne pour présenter avec candeur l’existence de ces hommes et de ces femmes isolés par la société. L’ironie dont est empreinte la narration, qui sert à décrire à la fois le corps médical et les patients, est nécessaire afin de bien communiquer la réalité méconnue et crainte de la maladie mentale.

Ce livre est vraiment une belle surprise.


 

  • TITRE : Pivot
  • AUTEURE : Dre Marie-Ève Cotton
  • MAISON D’ÉDITION : VLB éditeur
  • PAGES : 241

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