Le Mois de l'Histoire des Noirs Maisons d'édition Où? Quoi lire?

Mémoire d’encrier – Entretien avec Rodney Saint-Éloi

Équipe Mémoire d'encrier

Dans cet article, nous voulons vous faire découvrir la merveilleuse maison d’éditions Mémoire d’encrier. Celle-ci se démarque des autres maisons par sa philosophie et son approche, axées sur l’importance de la diversité culturelle et de l’inclusion. Rodney Saint-Éloi, aujourd’hui directeur général, a accepté de répondre à nos questions pour vous présenter cette entreprise littéraire qu’il a fondée en 2003.

En quoi la maison d’édition Mémoire d’encrier est-elle différente ?

Mémoire d’encrier reflète une pensée de la diversité, axée sur le pont entre les cultures. Elle met en place un mouvement de pensée qui fait place à l’altérité et au vivre-ensemble. Il ne suffit pas, pour nous, de publier des livres. Il y a beaucoup de livres qui se publient. Une maison d’édition aide à mieux habiter le monde avec les mots et les livres.

Comment définiriez-vous votre philosophie ?

Nous vivons dans des sociétés de plus en plus centrées sur elles-mêmes et sur leur récit d’origine. Notre vision part de la multiplicité des récits à donner à lire, et à partager. Il nous faut d’autres histoires, d’autres perspectives et d’autres imaginaires pour grandir et se renouveler. D’autres vies que nos petites vies. D’autres corps que nos petits corps. Cette parole constitue, à mon sens, un appel d’air, une manière d’ouverture dans un monde où la tentation totalitaire du repli est désormais un fondement. La vision étant de combattre, par les livres et la littérature, le racisme, l’intolérance et l’exclusion.

Sentiez-vous qu’il y avait un vide à combler en terme de diversité culturelle dans le domaine de l’édition au Québec ?

La diversité, en littérature, n’existe pas au Québec. Le Québec revendique le Québec. Tout ce qui est pensée de la diversité et de l’autre est une parenthèse. On n’a qu’à suivre les médias. Les discours dominants le disent. Le récit de la fondation part de la solitude. Nous sommes dans l’addition des solitudes. Et dans l’articulation complexe des imaginaires. On se rend compte alors clairement que le monde n’existe pas ou du moins, il est très loin de nous autres ici. Il y a, comme vous le dites, un vide. Il y a un déficit d’humanité. Nous sommes ici en retard sur l’Afrique. En retard sur le Moyen Orient. En retard sur les Caraïbes. En retard sur les Premières Nations. En retard sur le mouvement giratoire de la terre. Il y a un repli énorme sur soi. Regardez les prix littéraires au Québec. Regardez les auteurs et éditeurs qui y ont accès. Regardez bien autour de vous, et vous verrez qu’il y a là un grand scandale.

Comment faites-vous pour recruter des auteurs venant d’ailleurs, pour choisir les œuvres étrangères que vous publierez ?

Nous sillonnons le monde. Des Amériques à l’Afrique. Et nous accueillons les signes du monde. Nous sommes ouverts à tout ce qui nous bouscule. À ce qui raconte une trace, un vécu de l’humanité. Nous avons besoin de recoller les bouts pour arriver à une vision plurielle du monde. Plus féconde. Nous sommes alors soucieux et attentifs à toutes les littératures du monde. Nous ramassons les fragments. Car nous avons la certitude que les mots sont les seules armes capables de transformer le monde.

Vous fixez-vous des objectifs en terme de nombre de publications en provenance de divers horizons culturels ?

Il n’y a pas d’objectifs précis en termes de quantité de titres ni d’horizons culturels. Nous faisons parfois des recoupements. C’est souvent la magie qui opère les choses. Nous renforçons par exemple ces derniers temps le corpus autochtone. Nous mettons en avant les littératures du monde. Nous amenons quelques questionnements. Quelques angoisses. Quelques combats. Nous sommes toujours à l’affût de possibilités nouvelles, de clefs pour l’imaginaire et de moyens pour mieux agir. Pour mieux accueillir et mieux diffuser les livres que nous éditons. Nous avons monté en ce sens un organisme, qui travaille en toute autonomie, L’espace de la diversité, dont la mission est de venir en appui à ces littératures et à ces œuvres afin qu’elles ne tombent pas dans l’oubli ni dans l’indifférence.

Dans le cadre du mois de l’Histoire des Noirs, auriez-vous une liste de cinq suggestions parmi vos publications qui vous semblent particulièrement pertinentes pour explorer ce thème ?

Voici les titres suggérés. J’ai simplement adoré ces livres-là.

  1. Jean-Claude Charles, De si jolies petites plages
  2. Blaise Ndala, Sans capote ni kalachnikov
  3. Anténor Firmin, De l’Égalité des races humaines
  4. Léonora Miano (s.d.), Une anthologie du plaisir
  5. Felwine Sarr, Méditations africaines

Rodney Saint-Éloi est auteur et éditeur de Mémoire d’encrier. Son dernier titre Passion Haïti a été publié en 2016 chez Septentrion, dans la collection Hamac et fera l’objet d’un article sur Page par Page ce dimanche, 19 février 2017 !

Crédit photo : Louise-Anne Petit / De gauche à droite, Rodney Saint-Éloi, Virginie Turcotte, Tiphaine Delahaye, Camille Robitaille et Kinvil Jean.

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  • Henri NKOUMO
    20 février 2017 à 1:47 pm

    Interview solide, qui réveille l’esprit et que devraient lire de nombreux jeunes éditeurs.

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