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Marie Curie prend un amant

Marie Curie prend un amant

En novembre 1911, moins d’un mois avant de recevoir son second prix Nobel, Marie Curie est l’objet d’une campagne de diffamation hautement médiatisée. La scientifique de réputation internationale verra sa vie intime révélée au grand jour et son nom traîné dans la boue. À la manière d’une véritable enquêteuse, l’écrivaine Irène Frain fait la lumière sur la vie scientifique et personnelle de la savante, retraçant pas à pas les évènements menant à une certaine gloire et à la chute sociale de Marie Curie. À partir d’un petit ouvrage glané par hasard, Frain découvrira l’histoire souillée de Curie et s’acharnera méticuleusement à déceler les faits des simples rumeurs.

Le petit livret trouvé par Frain chez le bouquiniste se révèle en fait une revue d’extrême droite qui, cinq ans après la mort de Pierre Curie, porte au grand jour la liaison secrète que la veuve entretient alors avec un homme marié. Pierre Langevin, scientifique émérite proche d’Einstein, sera poursuivi pour adultère entrainant avec lui dans la honte Marie Curie, pour complicité. L’affaire aurait pu demeurer privée. Pourquoi calomnier la grande Marie Curie de cette façon pour une histoire d’infidélité? Parce qu’elle était libre, femme et bousculait son époque.

Avec ce petit livre relié de bleu, je tenais l’épisode majeur d’une lapidation médiatique qu’on avait manifestement préméditée de longue date. Marie avait dérangé. Il suffisait de lire la prose de Téry pour comprendre pourquoi : c’était un génie, elle était née femme, elle aimait un homme marié, lequel soutenait, comme elle, des théories qui bouleversaient les certitudes de la science de leur temps. 

-Irène Frain, Marie Curie prend un amant, p. 15

Travailleuse acharnée et scientifique impeccable, on ne put l’attaquer par la droite que sur sa morale. Dans une société résolument misogyne, on se servira de ce scandale conjugal pour l’ostraciser et l’empêcher d’accéder à des postes prestigieux et de pouvoir, rôles et fonctions qui auraient dû lui être attribués de facto. En plein lynchage médiatique, l’Académie des sciences française refusera sa candidature. On lui préfèrera Branly, scientifique unanimement moins important, mais aussi moins controversé. Parce que catholique, nationaliste, traditionnel, bien-pensant et surtout, de sexe masculin.

Nous avons déjà plus de femmes de lettres qu’un pays civilisé ne peut supporter. Que les dieux favorables nous épargnent une génération de femmes de science! (Le Figaro, dans Frain, p. 239)

Un roman fascinant qui, à partir d’un exemplaire travail de recherche historique, tente de situer la vie de Curie dans le cadre de cette société machiste. La seule réserve de notre lecture réside dans l’emballement inutilement empreint de lyrisme parfois agaçant de certains passages, comme si l’auteure s’enflammait plus que Curie elle-même pour cette histoire d’amour torturé. Dans tous les cas, on se trouve ici devant un livre passionnant et résolument féministe. En entrant dans l’intimité de Marie Curie, l’auteure nous révèle la route insidieuse et sexiste à laquelle les femmes de sciences, aussi nobélisées soient-elles, n’échappent pas.

  • Auteure : Irène Frain
  • Nombre de pages : 358 pages
  • Date de parution : 2015
  • Éditeur : Seuil

Crédit photo : Caroline Dawson

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