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Libérer la colère

Libérer la colère

Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy entament une correspondance d’où émane un constat : elles sont frustrées. Socialement, il leur est impossible de laisser cours à certaines émotions, pourtant légitimes. Après des agressions, après l’affaire Gomeshi, après #MeToo et en plein cœur d’une vie dont l’horizon reste toujours la culture du viol, les deux femmes en ont eu assez et elles ont accueilli la colère. Elles l’ont nommée, maternée, fait grandir et surtout, elles ont invité d’autres femmes à en montrer les contours qui se trouvaient dans leurs angles morts. Elles en ont fait un recueil collectif, catalyseur de discussions, pour enfin dire la colère des femmes.

Lorsqu’on ouvre les valves, impossible de tarir le fleuve. Et les mots s’entassent, montrant le trop plein accumulé par la trentaine de femmes de tous horizons. Par la pluralité des plumes, on peut dire que l’on se retrouve devant une espèce de manifeste des hystériques : elles se réapproprient l’insulte et trouvent le verbe fort pour dire ce qui a trop longtemps été étouffé. Nous saluons particulièrement les textes d’Elkahna Talbi (Queen Ka), de Marianne Prairie et d’Élodie Gagnon qui nous ont soufflé par la portée de leur voix.

Libérer la colère est un livre qui tire tous azimuts, c’est à la fois sa grande force et sa faiblesse. La colère prend tour à tour des airs de désespoir, d’indignation, de rage, de renfrognement, de ressentiment ou de révolte. Nous aurions apprécié davantage de direction. On sent de la part de Roy et Morand une immense volonté d’inclusion. Toutes les colères ont voix au chapitre, ce qui rend le projet inclassable et colossal, mais aussi un peu éparpillé.

Il n’en reste pas moins qu’une grande sororité émane des textes de Libérer la colère. Et la force du nombre se retrouve justement là : c’est comme si pour permettre aux femmes de s’emporter, il fallait qu’elles se soutiennent les unes les autres. Pour contrer la violence, elles se rassemblent. Le plus grand accomplissement de l’essai est sans doute de nous démontrer que laisser libre cours à la colère des femmes et effectuer par là un changement social, est et sera une entreprise collective et solidaire.

  • Autrices : sous la direction de Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy
  • Nombre de pages : 208 pages
  • Date de parution : 2018
  • Éditeur : Les éditions du remue-ménage
  • ISBN : 978-2-89091-620-3

Crédit photo : Caroline Dawson

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