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Le lambeau : Ce roman n’aurait jamais dû être écrit

Le lambeau

Imaginez un instant être la cible d’un acte terroriste. C’est à vous, ou plutôt à vos idées, qu’on en veut. En fait, on veut vous faire taire par le moyen le plus drastique : en vous éliminant. Mais vous ne mourez pas, vous faites le mort. Derrière vos yeux mi-clos, vous voyez les corps ensanglantés de vos collègues qu’enjambent les pantalons noirs des hommes en colère. Vous ne verrez jamais le visage des frères qui vous détestent. Ironiquement, c’est par la lente reconstruction du vôtre, mis en bouillis par une balle, que vous réapprendrez à vivre. Ce roman n’aurait jamais dû être écrit, parce que le barbarisme ne devrait pas exister. Mais comme il est malheureusement présent partout, ce roman, empreint d’humanisme et de courage, est nécessaire pour tous ceux qui se placent du côté de la vie.

Nous sommes plusieurs à penser que Le Lambeau, quatrième ouvrage de Philippe Lançon, journaliste à Libération et à Charlie Hebdo, qui retrace l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo duquel il a été victime et les mois de rééducation qui s’en sont suivi, aurait dû faire partie de la sélection finale en liste pour le Goncourt. Les Académiciens ne l’ont pas retenu sous prétexte qu’il ne s’agit pas d’une œuvre de fiction, mais plutôt d’un témoignage. Lançon, bon joueur, rétorque : «Je n’ai pas imaginé ce que j’ai vécu du 7 janvier au 13 novembre 2015. Je n’ai rien imaginé de ce que je raconte. Mais j’ai imaginé comment l’écrire et le composer.» Et vlan!

Il s’agit incontestablement d’un des meilleurs romans que j’ai eu la chance de lire dans ma vie. La lumière qui traverse tout le récit en fait une œuvre universelle qui met à nu la lente reconstruction d’un être humain à qui on a volé un pan de sa vie. La force de l’écriture de Lançon est sa capacité à nous faire sentir sa souffrance, ses doutes et sa douleur physique. On la ressent littéralement, cette douleur ; j’ai eu l’impression de la vivre avec lui. Le drame amène parfois les gens à se centrer sur l’essentiel et à se poser, enfin, les vraies questions. Je n’ai, bien entendu, pas vécu ce drame, mais je me suis posé ces questions parce que je souhaitais moi aussi l’accompagner à travers ce drame. Le sujet est touchant, l’écriture à fleur de peau et toujours si juste.

  • Auteur : Philippe Lançon
  • Nombre de pages : 512
  • Date de parution : mai 2018
  • Éditeur : Gallimard

Crédit photo : Karine Villeneuve

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  • vicki Milot
    3 octobre 2020 à 10:46 am

    Bravo Karine pour ce compte rendu. Je suis dans la lecture du Lambeau, et je n’aurais pas pu mieux décrire l’expérience de lecture.

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