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Dites-leur que je suis un homme

Douze hommes blancs décident qu’un homme noir doit mourir, et un autre homme blanc fixe la date et l’heure sans consulter un seul Noir. C’est ça, la justice?  – p. 185

Jefferson, un jeune homme Noir, illettré et pauvre, se trouve au mauvais moment, au mauvais endroit. En pleine Louisiane des années 40, il est accusé d’avoir tué un homme blanc. La vérité importe peu, il est traité comme un moins-que-rien, rapidement jugé et condamné. Il va passer les prochains mois dans l’attente du jour final, dans une cellule décrépite et sale, dans la solitude d’être convaincu d’être le cochon dont on le traite. Ses quelques proches, Miss Emma, Nan-Nan et le révérend Ambrose, vont tout faire pour l’accompagner dans cette triste fin, lui offrant notamment la compagnie de Grant Wiggins, l’instituteur des quartiers qui doute du Paradis, qui ne sait plus, qui veut fuir, mais qui va rester pour devenir, lui aussi, un homme.  

Tu sais ce que c’est qu’un mythe, Jefferson ? lui ai-je demandé. Un mythe est un vieux mensonge auquel les gens croient. Les Blancs se croient meilleurs que tous les autres sur la terre ; et ça, c’est un mythe. La dernière chose qu’ils veulent voir, c’est un Noir faire front, et penser, et montrer cette humanité qui est en chacun de nous. Ça détruirait leur mythe. Ils n’auraient plus de justification pour avoir fait de nous des esclaves et nous avoir maintenus dans la condition dans laquelle nous sommes. Tant qu’aucun de nous ne relèvera la tête, ils seront à l’abri. Ils sont à l’abri avec moi. Ils sont à l’abri avec le révérend Ambrose. Je ne veux plus qu’ils se sentent à l’abri avec toi.  – p. 226

Publié en 1993, Dites-leur que je suis un homme est un roman coup de poing, à la narration haletante et d’une force sans nom. À travers le récit d’un homme qu’on a brisé et qui se relève, c’est toute l’histoire de la force d’un peuple qu’on ne peut pas réduire à l’acceptation et au silence qu’on découvre, entre deux plantations de cotons et des salles de classe défigurées. Sur fond de tragédie, ce récit de Ernest J. Gaines (1933-2019) porte malgré tout, et en tout temps, l’espoir d’un avenir plus digne, et le refus radical d’un statu quo.  

 Nous, les hommes noirs, nous avons échoué à protéger nos femmes depuis l’époque de l’esclavage. Nous restons ici dans le sud et nous sommes brisés, ou nous nous sauvons en les laissant seules pour s’occuper d’elles-mêmes et des enfants. Aussi, chaque fois qu’un garçon nait, ils espèrent que ce sera lui qui brisera le cercle vicieux – mais il ne le fait jamais. Parce que même s’il veut le briser, s’il tente de le faire, le fardeau est trop lourd,  cause de tous ceux qui se sont enfouis en laissant le leur. Alors lui aussi doit s’enfuir s’il veut conserver sa raison et mener sa propre vie.  – p. 197

Gaines, qui a reçu le National Book Critics Circle Award en 1994 pour ce roman, et a été nominé pour un Prix Pulitzer et le Prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre, nous fait vivre une constante charge émotive à la fois énergivore et dynamique. La tension entre résignation et révolution fait de cette lecture une œuvre littéraire et sociale unique!   

  • Auteur : Ernest J. Gaines 
  • Parution : 1994 
  • Éditeur : Liana Levi Piccolo 
  • Nombre de pages : 300 
  • Provenance du livre : précieux conseil de l’équipe des libraires du Port-de-tête

Crédit photo : Annick Lavogiez 

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