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Concerto à la mémoire d’un ange

Concerto

D’emblée, je dois l’avouer : j’ai un préjugé favorable envers l’auteur. J’en apprécie la modernité classique et l’aplomb du style, sa fine maîtrise de la langue et sa capacité à ébahir et provoquer, toujours avec élégance. Mais j’admire aussi le courage de l’artiste qui ne recule pas devant une incarnation tantôt en Hitler (La part de l’autre), tantôt en Jésus (L’Évangile selon Pilate). Il traverse notre époque littéraire en y gravant son nom. Bref, préambule terminé : je m’approche à cette critique comme un bébé-acarien devant la chambre du Roi à Versailles.

Les romans de Schmitt ont le pouvoir de rassasier. Et c’est pareil avec ses nouvelles, les attentes du lecteur ne sont pas trahies : la bouche pleine, à la fin de chacune de ces quatre histoires dont est composé le Concerto, on éprouve la béatitude apaisante d’un repas savoureux et bien équilibré. Le tout chapeauté par le dessert de la fin, son « Journal d’écriture ».

Dans les nouvelles, le temps presse, l’espace à disposition est court, tout doit être dit et tout (du moins, autant que possible) doit être bien compris. Les descriptions deviennent des coups de pinceau donnés avec précision, sans bavures, sans verbiages, sans brusquer le lecteur ou emprunter des raccourcis qui le feraient débarquer de la fiction, toujours en maintenant la suspension pour l’envoûter, le distraire, le désarmer, le séduire et enfin le ravir. L’art de la nouvelle est peu valorisé, alors que « la nouvelle est une épure du roman, un roman réduit à l’essentiel », écrit Schmitt.

Dans ces quatre récits, l’élément commun (la figure de Sainte Rita) n’est qu’un prétexte assumé pour raconter des histoires. Et les histoires ne semblent être que des prétextes pour laisser à cette imagination vivante et effervescente de l’auteur le caprice de s’exprimer comme elle le veut. Il écrit d’ailleurs dans son « Journal » que les nouvelles prennent le dessus de sa volonté, reléguant l’artiste à une mère fonction de scribe, à la merci des flots des narrations qui le dépassent. Bizarrement, le lecteur le ressent aussi – et ce n’est pas du tout désagréable.

L’empoisonneuse, personnage sinistre et attachant de façon dérangeante, laisse la place à Greg, le marin qui remet en discussion l’amour pour les siens et son existence entière à la lumière d’une triste nouvelle qu’il a reçue. Les vies parallèles et palindromiques de Chris et Axel portent une leçon qui s’incruste dans l’esprit bien après la lecture, et qui peut aussi rejoindre l’histoire de la passion amoureuse (tantôt éteinte, tantôt latente, tantôt enflammée) d’un couple qui vit sous les réflecteurs de toute la France. On quitte la campagne de l’empoisonneuse, on traverse le Pacifique sur un navire commercial, on se rend sur les montagnes d’Annecy et on longe les couloirs sombres et ordonnés de l’Élysée : comme si on changeait de pièce, et dans chaque nouvelle pièce on prenait un nouveau café avec Schmitt. Les histoires sont des excuses pour laisser l’univers des possibles se réaliser. Avec la grâce de son écriture soignée, des situations sont arrachées à l’imagination de l’auteur et du lecteur.

On n’est pas ici confrontés aux abymes de la souffrance (Oscar et la dame Rose) ou éduqués avec humilité et tendresse à la fraternité et à la tolérance (Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran). Le Concerto est une œuvre secondaire et je crois qu’elle n’est pas née avec d’autres prétentions. Sa force réside tout de même dans le fait que ses histoires s’accrochent à l’esprit.

Comme le font ces contes qui, bien que lointains, se rapprochent de nous et nous laissent avec la sensation presque physique d’être enrichis d’une réalité que nous pourrions très bien habiter.

 

  • Titre : Concerto à la mémoire d’un ange
  • Auteur: Éric-Emmanuel Schmitt
  • Nombre de pages: 240
  • Date de parution: 2010
  • Éditeur: Albin Michel

Crédit photo : Camilla Sironi

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  • Matthieu Le Moeligou
    21 octobre 2016 à 9:38 pm

    Magnifique ton texte Camilla!

    • Camilla Sironi
      14 novembre 2016 à 3:33 pm

      Merci Mat! 🙂

  • silvia magistrini
    26 novembre 2016 à 4:51 am

    Dall’Italia caldi e affettuosi complimenti per la qualità di scrittura e la finezza. Chissà se si trova in traduzione? hai suscitato desiderio immediato di lettura del testo …

  • Emilio
    29 novembre 2016 à 1:03 pm

    Je vois que bébé-acarien grandit en gourmandise et en vertu littéraire !

  • Christiane
    30 novembre 2016 à 12:24 pm

    Fine maitrise de la langue et élégance se révellent aussi dans ton commentaire du livre de Schmitt.

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