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Ce qui t’appartient

Ce qui t'appartient

Ça commence par une scène de sexe payé dans des toilettes sales et publiques de Bulgarie, mais ça parle surtout d’amour, de désir et de mémoire. Ce qui t’appartient, premier roman de l’Américain Garth Greenwell, encensé par la critique internationale, fait le récit de la relation tortueuse entre deux hommes que tout semble opposer. Le narrateur est un intellectuel américain, de passage pour quelques années comme professeur de littérature en Bulgarie; l’autre est Mitko, un simple petit voyou impulsif et menteur, sans études ou avenir, comme il en court plein les rues dans les mauvais quartiers de Sofia. Les deux valseront entre leur besoin de liberté et le désir qui les consume, entre ce qu’ils accepteront et ce qu’ils tairont, entre leur propre vérité et les petits mensonges qui les lient.

Ce livre est d’une intensité que j’ai rarement rencontrée autrement que dans les classiques ou les tragédies. Et il en a les thèmes : c’est l’histoire d’une rencontre entre deux mondes, d’une passion qui carbonise, de multiples trahisons, de la violence sociale mise à nue, de la mémoire qui choisit ce qu’elle gardera comme faisant partie de l’identité, tout cela à travers l’amour et l’amitié entre deux hommes dans une Bulgarie moribonde.

Magnifiquement bien écrit, le tempo nous tient par la gorge. Nous nous devons de saluer la superbe traduction de Clélia Laventure qui a su capturer le rythme à la fois poétique et cru, hésitant et précis, saccadé et franchement essoufflant de la plume de Greenwell.

Écrire des poèmes était une manière d’aimer les choses, m’étais-je toujours dit, de les préserver, de vivre les moments deux fois; ou davantage encore, c’était un moyen de vivre plus pleinement, de conférer à l’expérience une signification plus riche. Or je ne ressentis pas cela lorsque je posai à nouveau les yeux sur le garçon, désireux d’avoir une dernière vision de lui; j’eus un sentiment de perte. Tout ce que je pourrais bien faire de lui le diminuerait, et je me demandais si je ne tournais pas plutôt le dos aux choses en les transformant en poèmes, et si au lieu de préserver le monde je ne m’en abritais pas.

On a souvent dit de ce romancier qu’il s’apparentait à ce que Hervé Guibert a de meilleur à nous offrir. C’est sans contredit que Greenwell analyse finement les pérégrinations de la passion et du désir, mais il révèle aussi, et c’est là sa grande force, les inégalités de classes sociales, la façon dont elles sont partie intrinsèque de l’histoire, de la rencontre et l’égarement de deux individus. Je sors de Ce qui t’appartient entièrement secouée. C’est rare qu’on a accès à la naissance et à la révélation d’une nouvelle voix, si crue, si puissante, si bouleversante.

  • Auteur : Garth Greenwell
  • Éditeur : Rivages (Payot)
  • Pages : 251 pages
  • Parution : novembre 2018
  • ISBN : 978-2-7436-4521-2

Crédit photo : Caroline Dawson

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